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D'un essai bien moyen ou la confusion du samouraï (II) オード・フィエスキの『サムライの画面』という随筆について (続)

medium_Le_masque_du_samourai.gif[Relire la première partie]
La façon même dont on écrit le mot révèle l'intention que l'on a, et les nuances peuvent être sensibles. Le samurai historique, le serviteur guerrier, tel qu'il apparaît dans les ouvrages sérieux ou littéraires, s'écrit en idéogramme. Lorsqu'il s'agit de lui donner une allure plus littéraire encore, ou plus poétique, voire sentimentale, on l'écrit en hiragana (l'un des deux alphabets syllabiques japonais). En revanche, lorsqu'on traduit des ouvrages occidentaux qui parlent des "samouraïs" au sens de nobles guerriers, on l'écrit en syllabaire katakana, de même lorsqu'on l'emploie en tant que concept, et c'est aujourd'hui l'orthographe statistiquement la plus employée. Ce sens de "noble guerrier" existe effectivement, même en japonais, mais il s'agit d'un sens dérivé, et secondaire, et les dictionnaires ne s'y trompent pas, qui le placent en deuxième position (par exemple le Kôjien 『広辞苑』, dictionnaire de référence de la langue japonaise).
Ces considérations, qui me semblent importantes, sont absentes de l'essai d'Aude FIESCHI, qui est censé traiter le sujet en profondeur, et c'est à mon sens une lacune grave, que personnellement je n'aurais pas passée à mes étudiants.
Autre faute grave, selon moi : le plan adopté pour 'louvrage : un plan en sept chapitre. Il eut été plus scientifique et plus pertinent d'opter pour un plan "à la française" en deux parties, deux sous-parties, ce qui permettait de souligner les oppositions et les complémentarités et aurait permis de juger d'une réelle problématique (qui m'a l'air bien difficilement décelable ici), plutôt qu'un assemblage hétéroclyte de chapitres pouvant être lu dans le désordre. A aucun moment, on ne sent que l'auteur veut nous entrainer quelque part. Ce ne sont que des anecdotes historiques, parfois littéraires, intéressantes par ailleurs, mais sans vraiment de fil conducteur. Et on n'a plus l'impression d'avoir à faire à un gloubiboulga qu'à une travail de spécialiste. C'est bien ça le problème : la recherche en documents fut riche, mais la rédaction hasardeuse. Plus grave encore, le "masque", qui figure dans le titre, n'occupe au final qu'une faible place, dans l'introduction et le dernier (court) chapitre. A quoi bon, alors, le mentionner dans le titre ? De même, les longs passages sur l'Histoire, tous dans le désordre chronologique, et rarement situés par des dates (idem pour les personnages : un sur dix a la chance d'avoir des dates), ne peuvent que causer la confusion du lecteur non spécialiste, comme si l'on était confronté aux mêmes types de personnages sur un millénaire. D'ailleurs, la référence finale aux tokkô-tai 特攻隊, les escouades spéciales (pilotes "suicidés", dits "kamikazes" en France, du japonais kamikazé 神風, vents divins) est traitée trop en longueur et déséquilibre l'essai.

Enfin, dernière critique, toutes les références sont françaises (fort bien) ou anglaises. Où sont les références originales ? Etrange ! Serait-ce que l'auteur ne parle pas suffisamment bien le japonais, ou un choix vicieux de l'éditeur ? Lorsqu'elle cite DO'I Takéo, lauteur reprend l'exécrable traduction française (faite à partir de l'anglais, bien que l'éditeur semble s'en défendre, alors qu'il est évident que le traducteur a commis des anglicismes en français) et la mauvaise traduction du concept d'amaé 甘え : elle nous parle d'"induglence", alors qu'il s'agit précisément de "réclamation de sollicitude". c'est confondre l'objet désiré avec le désir lui-même. Or l'amaé est un désir, pas un objet, et tant que cette traduction fautive circulera, les auteurs qui s'en serviront seront entrainés dans l'erreur, et le malentendu s'approfondira !
Un élément m'incite à penser qu'effectivement, l'auteur ne connaît pas grand chose à cette langue : le lexique de fin de volume. Aucun mot écrit en japonais : uniquement des transcriptions. Bizarre. Et quand on regarde au mot "yoroi", on trouve la définition suivante : "type d'armure". Or, que je sache, yoroi 鎧 signifie "armure" tout court. Quand on écrit par exemple un livre sur les chevaliers anglais ou les oeuvres de CHAUCER, le minimum demandé est de parler l'anglais, il me semble. Ce ne serait pas le cas avec les Japonais ? Quelques jolies illustrations et une absence de mots dans la langue originale révèlent-ils plus de respect pour le pays et d'exactitude scientifique que le contraire ?
Ce livre a un côté "arts décoratifs" des plus exotiques !

Au final, même si, je le répète, il contient des histoires intéressantes tirées de sources les plus diverses (journaux intimes, oeuvres littéraires, discours d'hommes politiques etc.), cet essai fait l'effet d'un catalogue mal maitrisé, ou plus exactement d'un mémoire de maîtrise ou de master mal dirigé et mal corrigé. Une sorte d'exemple à ne pas suivre d'utilisation désastreuse de connaissances (de seconde main ?) pourtant étendues.
En bref, lisez-le pour les anecdotes, indépendamment les unes des autres, mais si vous ne savez pas remettre les informations dans le bon ordre, vous risquez d'en sortir encore plus embrouillés qu'avant d'y avoir touché.

Si le lecteur veut se faire une idée de ce qu'étaient, par exemple, les samurai à la fin de l'époque d'Edo, il en trouvera une belle illustration dans le film de YAMADA Yôji, Tasogare Seibei 「たそがれ清兵衛」 (Seibei le Crépusculaire), plus connu sous les titres de The Twilight Samurai ou Le samouraï du crépuscule, réaliste et pas prétentieux. Ou même la série animée Samurai champloo, qui, entre deux anachorismes assumés et comiques, présente des informations vraies sur la société de la fin de l'époque d'Edo.

S'il passe à l'étape supérieure qui est la lecture, outre celle des classiques guerriers que sont le Dit de Hôgen, celui de Heiji, et celui des Heike, ou encore le Taiheiki (il n'en existe pas encore de traduction française, mais la traduction anglaise est très bien), le lecteur se reportera avec profit à des ouvrages écrits de nos jours, et je ne saurais trop conseiller parmi eux celui de François et Mieko MACE, Le Japon d'Edo (ed. Les Belles Lettres) sorti assez récemment (2006) ou les ouvrages de Jean CHOLLEY, spécialiste de la littérature et de la société japonaises d'avant Meiji, comme ses traductions commentées d'IHARA Saikaku (Du devoir des guerriers, ed. Gallimard) ou de senryû 川柳 (poèmes comiques) érotiques (Haiku érotiques, éd. Picquier poche), ou la consultation en bibliothèque du classique de Vadime et Danielle ELISSEEFF : La civilisation japonaise (éd. Arthaud).

Note : 4/10 

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