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A propos de la tentative d'interdiction du Hellfest

[Ma note précédente (sur le piètre état du catholicisme actuel) a suscité l'intéressant commentaire de Marion, que je me permets de reproduire ci-dessous, légèrement abrégé :

"Voilà un article qui nous éloigne. Je ne connaissais pas tes croyances religieuses. En fait, je ne m'étais jamais posée la question. Etant moi-même athée, je ne vois ni dieu ni satan. Je comprends cependant ton interpétation, et tes déceptions par rapport à ta religion.
Ces derniers temps, je m'insurge contre une ancienne ministre de droite en France, qui tente d'interdire le plus gros festival de metal français, sous prétexte qu'il s'appelle le "Hell Fest", qu'il fait jouer des groupes appelant à la haine de la religion chrétienne, et qu'il influencerait les jeunes gens "pilleurs de tombes". Je suis outrée par ces arguments, car pour moi, c'est totalement anti-culturel. Tous les groupes qui se produiront dans ce festival ne sont pas sataniques, et, de plus, les personnes se rendant dans ce festival ne sont pas des pilleurs de tombes, mais des gens qui, pour la plupart, veulent juste écouter la musique qu'ils aiment..... 
Que penses-tu toi, de cette affaire? Le metal est-il une manifestation de Satan? Comment pourrait-il en être une si il rassemble des tas de gens qui passent un bon moment et qui "communient" ensemble au son d'une musique qu'ils apprécient? 
Peut-être ai-je une vision naïve des choses."

Et à ce commentaire, ma réponse, trop longue à mon goût pour être placée parmi les commentaires.]

Ta première phrase m'a fait craindre de perdre une de mes lectrices préférées, mais la suite de ton commentaire me laisse espérer un échange constructif.

Concernant les groupes satanistes, mon opinion n'est pas encore fixée. Cependant, je peux déjà te faire une réponse en deux points, concernant le phénomène du hard rock plus ou moins sataniste d'une part, et d'autre part la question de l'interdiction (je reprends en cela la structure de ton commentaire).

 

I Ces groupes, et plus généralement le mouvement culturel dans lequel ils s'insèrent, me semblent fédérer plusieurs types de publics. Je pense qu'effectivement les vrais satanistes sont assez peu nombreux parmi eux et encore plus rares ceux qui conservent ces croyances et ces rites parvenus à l'âge adulte. Tout comme chez les gothiques (qui peuvent ou non être amateurs de satanisme), je perçois chez la plupart une composante adolescente, un besoin d'uniformisation au sein d'une communauté parallèle à celles des grands (culture costar, culture salopette bleue etc.) avec ses codes vestimentaires et langagiers, mais avec encore plus de suivisme, un besoin de rejeter les valeurs de leurs parents, d'aller à contre courant. Bref, c'est très adolescent, tout comme les colifichets dont ils se couvrent (tee-shirts avec des crânes, bijoux en métal ou en argent)... D'ailleurs, je me demande même si cette musique aurait le même succès sans son environnement visuel (c'est à dire pour son seul mérite strictement musical, qu'on se souvienne de Kiss lorsqu'ils avaient "tombé le masque"). Bref, je vois la-dedans plus des jeunes en crise d'adolescence que des ennemis dangereux du genre humain et de ses institutions.

Cependant, je pense qu'on ne pratique pas des rites satanistes impunément. Chez moi, on dit qu'"on ne tente pas le diable", et tout ce que j'ai pu voir autour de moi a confirmé cette maxime populaire pleine de bon sens. Le satanisme, qu'on y croie vraiment ou qu'on le pratique pour simplement s'amuser, est fondé sur la volonté de nuire aux autres, et vise tout simplement le mal. Et mon expérience m'a aussi montré que la plupart de nos actions entrainent des conséquences, et qu'il y a un prix à payer. Qu'on soit croyant ou non, on ne peut que constater la puissance de l'esprit humain, capable de se projeter pour influencer - en bien ou en mal - une autre personne, présente ou dans un endroit éloigné. Et plus le temps passera, plus la science sera forcée de reconnaître ces pouvoirs du cerveau.

La question qui se pose dans un deuxième temps est : est-il légitime pour un croyant de tenter de faire interdire un spectacle (en l'occurence un festival) comme celui dont tu parles ?

 

II Cette question m'apparait sans réponse. Nous sommes ici face à un choix éthique (comme dans un jeu de rôle) et selon notre alignement (pour reprendre cette métaphore), notre attitude diffèrera. Certains seront plus intransigeants, croyant faire avancer d'autant la cause qui est la leur, d'autres plus neutres, d'autres encore n'interviendront pas, non pas par neutralité, mais par pragmatisme. Ce serait plutôt mon cas à l'heure où j'écris ces lignes. En outre, une composante "deuxième degré" ou "spectacle" me semble aussi présente dans le mouvement hard rock qui ne va pas se saborder en se bisounoursifiant ou, pour parler de façon à être compris d'un Parisien, en devenant comme les "Enfoirés", consensuel et profondément ringard. En France comme ailleurs, le mauvais garçon et le rebelle peuvent ne faire qu'un (pas toujours heureusement : pour ma part, je me considère comme un rebelle, mais pas un mauvais garçon : comme le devinent mes lecteurs, je suis entré "en réaction"). Une interdiction frontale, politique, m'apparaît dangereuse, et ce pour plusieurs raisons : elle dénote une tendance à mettre tout le monde (festivaliers et participants) dans le même panier, et je n'aime pas les amalgames, preuve d'un manque de nuance ; ensuite, le remède pourrait être pire que le mal, entrainant des crispations identitaires (et une augmentations des sacrilèges, juste pour se venger en embêter le monde, là encore un réflexe très adolescent) ; enfin, cela prouverait un grave manque d'humour de la part de l'homme politique. Je crois pour ma part qu'on doit interdire les violations de la loi, pas les prévenir excessivement par un principe de précaution hystérique. Et que contre le mal spirituel, la réponse doit être spirituelle. Aux messes noires et aux sacrilèges, j'oppose la prière, la bienveillance et l'espérance que permet en moi la foi (que j'ai chevillée au corps).

Que chacun fasse ce qu'il a à faire (en bien comme en mal), en son âme et conscience, je ne me fais pas de souci pour moi car je crois être du bon côté, mais je n'ai pas à me faire pour autant juge des gens (car ce serait une manifestation d'orgueil), juste à me gouverner moi-même (ce qui est bien assez difficile, je l'ai souvent dit). Je crois à l'importance de l'exemple et de l'enseignement, de la lecture, et là encore, le rôle des parents m'apparait plus important que n'importe quelle intervention de la puissance publique.

Voilà tout ce que je peux écrire pour le moment.

Note : le Hellfest : http://www.hellfest.fr/

Commentaires

  • Salut all,

    Vraiment excellente cette réponse.
    Difficile de faire mieux tant le sujet est vaste et ambigu.

    Je n'ai pas envi de rajouter de l'eau au moulin...je dirais simplement qu'il y a le mal que l'on voit, et le mal que l'on ne voit pas. Je vous laisse devinez lequel est le plus dangereux.

    Le premier nous rappel la valeur de la vie (être malade par exemple), le second nous tue à petit feu.

  • Je suis vraiment touchée que tu aies consacré un article entier à ce sujet.
    Je suis contente de voir ton ouverture d'esprit et ton analyse de la situation, qui me parait complète.

    J'ajouterai que cette polémique est intervenue au moment des élections régionales. L'ex ministre de droite ayant voulu discréditer la gauche, en lui reprochant de subventionner cet évènement.

    Quant à ton blog, je te rassure, ce n'est pas parce que nos opinions divergent que j'arrêterai de te lire. J'ai d'ailleurs été très touchée par ton compliment ("une de tes lectrice préférée"). Les différences sont sources d'enrichissement, dans la mesure où l'on prend le temps de s'ouvrir à elles.

    A bientôt. :-)

  • Merci à toi, car tu m'as apporté un sujet de réflexion, un de ceux que je n'aurais pas nécessairement pensé traiter cette semaine. Je suis de surcroît évidemment d'accord avec ta conclusion.

  • Merci ibun pour votre présence en cet espace et votre commentaire bienveillant. N'hésitez pas à revenir.

  • Belle réponse, Alexandre. Enfant en 1968, j'ai toujours conservé comme une des rares belles reliques de cette révolutionouille le slogan "il est interdit d'interdire". las, force m'a été de constater depuis que ceux qui le clamaient et leurs enfants autorisaient tout, sauf l'expression de la culture millénaire dont ils étaient issus - la chrétienté, pour faire vite. Pourtant, père et aujourd'hui grand-père, je continue de chérir la provoc comme principale source de réflexion. A condition qu'on puisse l'exercer vis-à-vis de tous, et pas seulement quand on est un de ces d'jeun's qui se croient et se crient forcément rebelles à l'encontre des valeurs de leurs parents - quelles que soient ces valeurs.
    Les "raves" et autres manifestations musico-mystico-fusionnelles me seraient plutôt sympathiques si l'on ne s'y soulait un peu trop volontiers d'appels à la violence et à l'auto-destruction.

  • Je suis flatté qu'un écrivain de votre trempe passe faire un tour sur mon blog de "bleu". Merci !
    A part cela, je ne suis pas attiré par la révolte contre l'autorité, mais par la recherche du beau, du vrai, du bien et, s'il ne nuit à personne, du bon (du savoureux, même). Si pour cela il faut s'opposer à quelque autorité, eh bien hélas j'irai au charbon et je veux bien vous suivre !

  • J'apprécie votre site, merci à vous pour vos conseils, et notez dans un 1er temps que je "plussoie" entièrement votre point de vue. Bref tout est dit, votre travail est sincèrement bon, j'ai adoré vous lire ! NB : Pardon pour les éventuelles fautes, n'étant pas francophone, j'ai utilisé un traducteur en ligne.

  • Je vous remercie !

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