Les œuvres de Mozart ne sont sans doute pas de celles où la capacité d’un instrumentiste à improviser semble le plus nécessaire. En général nous leur appliquons tout au contraire les critères d’interprétation propres à une époque plus tardive qui institue entre le compositeur et l’exécutant une barrière étanche : le compositeur compose, l’exécutant exécute, et ce dans le respect le plus absolu des moindres indications de la partition.
Si une telle attitude paraît fondée dans le cas d’une œuvre de Stravinsky, de Ravel, ou de Schönberg, où il ne viendrait à l’idée d’aucun interprète sain d’esprit de rajouter, ça et là, sa touche personnelle, il semble beaucoup moins pertinent de faire systématiquement de même avec Mozart qui vécut en un temps où les savoirs étaient moins cloisonnés.
Prenons l’exemple de ses concertos pour piano : on sait que Mozart, qui les écrivait le plus souvent pour lui-même, n’hésitait pas, en certains passages, à s’écarter considérablement de son texte au moment du concert, réintroduisant ainsi un peu de la spontanéité propre à l’improvisation au sein d’une musique cependant très « écrite ». Sans doute usait-il là de toute sa liberté de compositeur-interprète mais aussi, en une époque ou tout interprète était également plus ou moins compositeur, ne faisait-il que se conformer à un usage tacite qui voulait que l’on exécutât pas toujours « littéralement » le texte si certaines circonstances se trouvaient réunies. Ce pouvait être (tout particulièrement dans les mouvements lents) quand un thème était repris de façon strictement identique (ce qui imposait « tacitement » la nécessité de l’orner la seconde fois) ou bien encore quand la partie soliste se trouvait paradoxalement réduite à un simple « schéma », d’une simplicité peu en accord avec la virtuosité requise partout ailleurs.
Par chance, il est arrivé que Mozart dévoile ses intentions en la matière en répondant à des commandes. Peut-être ne faisait-il pas totalement confiance aux capacités créatrices des virtuoses qui le sollicitèrent, car il s’efforça de noter avec la plus grande précision tous les passages qui eussent pu réclamer quelque improvisation (le concerto en mi bémol, K271, généralement surnommé « Jeune homme », illustre avec brio ce cas de figure). Il va de soi que tout interprète désireux de réaliser pleinement les intentions de Mozart devrait s’imprégner de tels exemples afin d’en restituer le sens dans d’autres partitions moins explicites. De la sorte (et c’est un plaisant paradoxe), en trahissant apparemment la « lettre », il n’en respecterait que plus l’esprit.
Cette réflexion (...) pourrait être étendue à la musique instrumentale ou vocale de Mozart (...).