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Je viens de regarder et écouter un VCD offert par des étudiants chinois venus dans ma ville y étudier les joies du théâtre. Outre la présentation élégante du coffret double, c'est l'élégance du geste même qui m'a touché. J'ai toujours veillé, moi aussi, à remercier ceux qui m'avaient accueilli à l'étranger.
Bref, j'ai visionné l'un des deux VCD du coffret, le second, intitulé 中国交响诗China : A Symphonic Portrayal (en français : Chine : un poème symphonique (je traduis du chinois)). Le nom du musicien est dicrètement indiqué au dos du coffret, XIANG Min. Assez célèbre en Chine, il y a réalisé des musiques de film, dont Dōng-gōng Xī-gōng 東宮西宮 East Palace, West Palace (Palais oriental, palais occidental). A la fin du visionnage, son nom apparaît après ceux des "planificateurs" (!). Il m'a semblé très marqué par la musique européenne, en particulier les musiques française et russe, mais je ne saurais en parler finement, n'étant pas spécialiste. Ca m'a semblé joli, à défaut d'être original. C'est l'oeuvre de quelqu'un qui a appris sérieusement son métier, avec plus d'efficacité qu'à l'époque de MAO. Toutefois, le VCD ne se voulait pas l'illustration de cette oeuvre musicale. C'est la musique qui devait mettre en valeur les images. Et celles-ci, malgré les imperfections du support VCD, étaient tout ce qu'il y a de plus enchanteur. C'est la Chine qui se montre telle qu'elle voudrait qu'on la voie. Des temples, des murailles, des jardins, des tasses de thé, des beautés en robes chinoises, de la jeunesse dynamique, mais aussi des entreprises de pointe, de la haute couture, des gratte-ciels plus beaux et hauts que ceux d'Amérique et du Japon réunis etc. C'était en effet bien beau et bien séducteur. Mais même si je ne suis jamais allé en Chine, je sais bien que tout n'est pas comme ça partout dans ce pays. Il n'empêche, un peu de beauté et de patriotisme pacifique, ça fait plaisir à voir. Il faut aller à l'étranger (dans les aéroports de préférence), pour voir ce genre de représentations de la France. Car chez nous, c'est plutôt le cercle vicieux : on détruit (à commencer par notre filière L, littéraire des lycées) et se coupe de notre passé (qui devient un haissable inconnu pour la plus grande partie de notre jeunesse), on ne crée plus grand chose, et on critique tout le monde.
A condition de savoir faire la part des choses, l'expérience de ce voyage du plus grand Office du tourisme du monde saura se montrer particulièrement convainquante et savoureuse.
Votre serviteur s'est rendu avant-hier (vendredi 17 novembre) au concert. A mon grand désarroi, faute de moyens, je ne vais pas au concert aussi souvent qu'au théâtre (où j'ai mes entrées, voyez-vous), mais quand ça m'arrive, je fais en sorte de bien choisir et je suis très rarement déçu. Cette fois je n'ai non seulement pas été déçu, mais j'ai en plus été enthousiasmé. Le concert donnait à entendre des trios d'anches : hautbois, clarinette et basson. Le programme était le suivant : W.A. MOZART : Divertissement n°2 J. IBERT (1935) : 5 pièces en trio L. RIOU (2006, création) : 3 pièces en trio D. MILHAUD (1937) : Suite d'après Corette op. 161 W.A. MOZART : Divertissement n°4
Le trio est composé de Delphine TAINTURIER (basson), Christian GEORGY (clarinette) et Christian SCHMITT (hautbois), tous trois enseignants de haut niveau. M. SCHMITT est même Premier Prix du Concours de Tôkyô. C'est ce dernier qui semble diriger artistiquement l'ensemble. Le lieu choisi pour ce concert était la chapelle (contemporaine) de Courcelles-les-Montbéliard, étonamment chaleureuse (et bien chauffée !) et appelant davantage au recueillement que bien des églises modernes. La municipalité de ce village du Doubs est bien plus dynamique en matière culturelle que celle de bien des villes. Avec des moyens dérisoires, la conseillère municipale chargée des affaires culturelles a réussi à faire venir ces trois instrumentistes pour jouer trois compositeurs célèbres et créer la dernière oeuvre du compositeur (bien vivant) Laurent RIOU. Le public de Courcelles n'est pas un habitué des concerts, aussi le programme choisi se composait-il d'oeuvres brêves. Les mouvements et les pièces ne faisaient guère plus de trois minutes chacun. Le Mozart placait le niveau assez haut, très enjoué mais jamais trop facile, subtil et spirituel, aérien et sensuel. Avec les pièces d'IBERT, on retombait un peu, avec un style très typé XXè siècle, mais fort agréable, au cours duquel les instrumentistes trouvèrent quelques occasions de montrer leurs talents. Je crois qu'il s'agissait d'airs composés pour servir de bande originale à un film, mais je ne suis pas sûr... Avant de parler de Laurent RIOU, quelques mots du MILHAUD. Comme le titre l'indiquait, le compositeur avait repris des airs de Michel CORETTE et les avait réorchestrés à sa sauce, d'où un jubilatoire mélange des époques et (presque) un pastiche musical, si l'on n'avait senti un légitime respect du compositeur moderne qui n'avait peut-être pas conscience de dépasser le (petit?) maître du passé. C'était une oeuvre intelligente que l'on devait encore davantage apprécier lorsqu'on connaissait les originaux, mais je l'ai bien goûtée quand même. De l'avis général, elle dépassait l'oeuvre d'IBERT qui, sur le moment, m'avait peut-être fait plus impression. Le concert s'achevait sur un second Divertissement de MOZART, le 4è, et constituait l'éclat final du concert. Il confirmait mon idée selon laquelle la musique de MOZART est géniale à plusieurs titres : en soi, sur le papier, mais aussi jouée, quel que soit le type d'instrument et d'interprétation ; elle peut être appréciée avec ou sans "culture musicale savante" ; elle est miraculeusement thérapeutique et apaise les souffrances de l'âme et du corps.
MOZART aurait pu constituer l'événement du concert (mais il s'agit d'une valeur sûre, et il ne peut guère créer la surprise), mais ce ne fut pas le cas, à mon humble avis. Comme une perle dans un magnifique écrin, l'oeuvre de RIOU m'a saisi sur place. Je ne suis guère porté sur la musique dite contemporaine (à part John ADAMS, Philippe HERSANT et quelques Japonais), souvent synonyme d'ennui dû à l'absence d'air, remplacé par des bruits, voire des bruits bidouillés électroniquement. Chez RIOU, rien de tel. Il écrit sur du papier, pense les notes, les airs, et nous raconte une histoire avec un ton unique, reconnaissable, et original ! Un ton, et un style. Une culture aussi, bien sûre : RIOU est peut-être l'homme le plus érudit de France en matière de musique, et pourtant l'une des personnes les plus modestes qui soient. Et c'est cela, un grand maître. Quelqu'un qui convaint par ses oeuvres, et pas par le récit de ses exploits. Lorsque la première des trois pièces a débuté, le public a eu un instant de doute que j'ai resenti. Visiblement surpris par tant de nouveauté, certains se tortillaient sur leur siège ou toussaient. Mais au bout d'une minute, ils étaient conquis et écoutaient plus religieusement que pour les oeuvres des autres compositeurs. Et pour cause, la musique de RIOU a tout d'une oeuvre majeure : originalité comme je l'ai dit, mais aussi un côté aérien, qui vous (é)tire vers le haut. Il y a des musiques charnelles, bestiales, glandulaires ; certaines même vous avilissent. Celle-là, c'est le contraire : éthérée, presque abstraite (bien que narrative, allez comprendre mes contradictions de critique musical au rabais !), prodigieusement intelligente (je ne vois que BACH à ce niveau) sans mièvrerie ni pédantisme (alors ça aucun), vous rend meilleur et révèle ce qu'il y a d'angélique en vous. Le solo de basson dans une des pièces donna l'occasion à Delphine TAINTURIER de montrer l'étendue de son talent, malgré un petit égarement, vite repris. Christian GEORGY, toujours juste et exact, a parfaitement joué son rôle, en retrait, et c'est Christian SCHMITT qui s'est taillé la part du lion (du Lyon ?), démontrant par A plus B qu'il était un soliste de niveau international, sans doute possible.
C'était donc en quelque sorte l'esprit, la grâce de celui dont j'ose dire qu'il a le génie que seul le divin instille, et non sans souffrance pour le créateur. La première des trois pièces faillit bien ne jamais voir le jour, son créateur s'y étant repris à plusieurs fois dans la rédaction. Pourtant, on raconte que l'un des interprètes fut ému aux larmes en la découvrant, car il en sentait tout l'amour spirituel, qui lui rappelait la tendresse d'un fils pour sa mère. Pour ma part, j'ai eu l'image du ciel qui s'ouvrait et des anges qui jouaient, même si mon intelligence assez limitée ne me permettait pas de tout saisir. Car il faut savoir que cette musique, supérieure, ne saurait être intégralement comprise et savourée à la première écoute. Prétend-on épuiser Aristote à la première lecture ? Les instrumentistes me le confirmèrent après le concert, eux-mêmes découvrant de nouveaux charmes à ces pièces chaque fois qu'ils les rejouaient. L'oeuvre reçut un succès triomphal, et le compositeur, discrètement présent dans la salle, fut invité à venir saluer. Après s'être fait un peu prier, il est arrivé, grand homme sobre dans un manteau noir, dégageant une impression de grande bonté, avec un visage exprimant une intelligence supérieure. Il remercia les artistes et le public par quelques gestes, et retourna vite s'asseoir.
A la fin du concert, le public, déchaîné, fit revenir les artistes. Ceux-ci nous gratifièrent en bis de la deuxième pièce de Mozart. Malgré tout mon amour pour le grand homme, j'étais un peu en colère contre les musiciens : on aura compris que c'était RIOU que j'attendais. Mais ces plaisantins s'en doutaient, et après ce bis fort applaudi, ils nous exécutèrent un "petit supplément" : une des trois pièces de RIOU, qui provoqua la joie du public et de votre serviteur. Le compositeur fut à nouveau sommé de venir se faire applaudir sur la scène où le maire le prit en photo avec les interprètes, fatigués mais ravis, conscients d'avoir vécu et fait vivre un moment exceptionnel. La réalisation d'un CD non commercialisé (mais que j'ai su me procurer) est l'occasion pour moi de vous en faire écouter un extrait.
Puisse ce minuscule blog faire un peu connaître la musique géniale du plus humble des hommes.
A l'écoute, le deuxième mouvement du Trio d'anches de Laurent RIOU.
En attendant d'avoir le temps et la disponibilité d'esprit suffisants pour rédiger une note digne de ce nom, voici un lien musical rigolo pour ceux qui auraient envie de vider leur cerveau. Attention ! Risque d'hypnose élevé !
[Connaissant ma passion pour la musique de Maurice RAVEL, un ami m'a envoyé le texte suivant que je m'empresse de publier, admiratif devant tant de maîtrise en si peu de mots. J'ajoute que cet ami est un érudit hautement qualifié pour traiter de musique.]
A propos d’Hoffmann, de Ravel, de la rumeur et du soupçon…
La lecture de l’étincelant petit roman d’E.T.A Hoffmann Maître Puce, qui, par ailleurs, constitue, sous les dehors de la fantaisie la plus extrême, un authentique « bréviaire » du romantisme allemand, cette lecture, donc, m’a remis en mémoire le malaise insistant ressenti en prenant connaissance d’une note relative au très récent Ravel de J. Echenoz, qui constatait que celui-ci n’avait pas pris en compte l’homosexualité « avérée » du musicien… L’idée, semble-t-il, est dans l’air puisqu’une étude, récente elle aussi, sur Ravel en Pays basque affirme sans ambages : « Ravel était homosexuel » ; de même, il n’y a pas très longtemps, lors d’un concours du C.N.S.M de Lyon, un candidat présentant un dossier sur l’auteur du Boléro se vit apostrophé en ces termes : « pourquoi ne parlez-vous pas de son homosexualité ?! » (l’« apostropheur », je le signale aux amateurs d’énigmes, s’est fait un nom depuis dans le domaine de la vulgarisation audio-visuelle, en dispensant, non sans talent d’ailleurs ni sans cabotinage, son savoir via de nombreux DVD…) Bref, l’affaire semble entendue et, désormais, il y a fort à parier qu’on ne reviendra plus sur un fait qui est en train de se constituer, par vagues successives, comme une évidence… Or, il n’en allait pas de même il y a vingt ans où les études sérieuses ne mentionnaient, tout au plus, qu’une vie sentimentale apparemment inexistante… De nouveaux documents auraient-ils donc surgi ? Des lettres, des aveux, des menaces de chantage jusqu’ici occultées ? Nullement : les textes sont les mêmes qu’il y a vingt ans mais, et cela nous ramène à Hoffmann, ils sont à présent relus avec de bien étranges lunettes… Dans un épisode secondaire mais instructif de Maître Puce, le héros se trouve injustement soupçonné de l’enlèvement d’une jeune fille ; pour comble d’infortune, il doit subir l’interrogatoire d’un personnage retors nommé « Knärpanti », qui pour des raisons d’ambition personnelle tient absolument à faire de lui un coupable. Ayant saisi tous ses papiers (correspondance et journaux intimes), il en tire une longue suite d’accablantes citations tendant à faire de lui un « obsédé » de l’enlèvement. Ainsi, par exemple, cette phrase : « quelle chose merveilleuse que cet enlèvement », qui, par la suite, s’avère devoir être rapportée à une représentation de « L’enlèvement au sérail »… de Mozart ! Dans sa hargne, il va même jusqu’à relever, dans une phrase quelconque, toutes les lettres, éparses, nécessaires pour former le mot « enlèvement », preuve indiscutable, et d’autant plus perverse selon lui qu’elle est cryptée, du penchant criminel de son auteur… Ainsi en est-il de Ravel : comme on le sait depuis toujours, Ravel était très attaché à sa mère, Ravel était célibataire, Ravel était d’un « dandysme » extrême Aujourd’hui, tout cela se trouve résumé en une phrase : Ravel était homosexuel ! ( même si l’on peut aussi adorer sa mère et adorer les femmes, même si Brahms, par exemple, fut un éternel amoureux autant qu’un éternel célibataire, même si Baudelaire, érotomane notoire autant que poète de génie, fut également un admirateur de Brummel…) Ce qui est gênant dans cette affaire ce n’est pas que Ravel ait été ou non homosexuel : après tout , cela ne regardait que lui-même exclusivement et n’est d’aucune incidence sur son génie. Non, ce qui me gêne vraiment c’est une absence de rigueur qui substitue l’allusion à la preuve et, tel le sinistre « Knärpanti », tend à instruire « à charge », si l’on peut dire. Pourquoi négliger, par exemple, les témoignages, peu nombreux sans doute mais réels (Rosenthal, Marguerite Long, et Ingelbrecht ( voir la biographie de Stûckenschmidt, pour ce dernier))qui tendent à faire de Ravel un client occasionnel des prostituées ? Pourquoi monter en épingle certains faits : le noctambulisme avéré de Ravel, par exemple, dont on laisse maintenant supposer qu’il devait cacher des secrets, pour l’époque, inavouables… De même, on prend prétexte d’une tentative d’escroquerie dont il fut victime de la part de deux jeunes gens dans les années vingt, pour y voir un aveu d’homosexualité, à tout le moins, latente… (on voit d’ici l’arme ultime des propagateurs de cette thèse face à d’hypothétiques contradicteurs : si l’on ne peut rien affirmer pour les faits cela ne signifie pas que Ravel n’ait pas été, de toute façon, un homosexuel honteusement refoulé !) L’incident fut cependant relaté par la violoniste amie de Ravel, Hélène Jourdan-Mohrange, dans le beau livre qu’elle lui consacra, et on peut supposer que si la situation lui avait semblé un tant soit peu équivoque, elle ne l’aurait sûrement pas évoquée. Elle n’y voyait, cependant, qu’une grande preuve d’ingénuité… L’initiateur de cette lecture plutôt tendancieuse fut, je le signale aux érudits, un dénommé Michel Faure, sociologue de son état (mais nullement musicien) qui commit dans les années 80 un livre sur La musique française depuis le Second Empire. Relativement à Ravel, il procéda par allusion en insistant sur le témoignage d’Alma Mahler qui voyait en lui un « Narcisse »…. Colporté depuis lors comme une référence intouchable, son étude n’a cessé d’être paresseusement « remâchée » par les chercheurs « bien informés »…. Voilà comment s’écrit l’Histoire…..
On me permettra toutefois d’en préférer une version qui respecte le mystère des êtres, et celui d’une personnalité à tout jamais énigmatique.
J'aurais aimé y assister plus tôt. J'aurais aimé vous permettre d'y aller aussi et d'en profiter, malheureursement, je m'y suis rendu pour la dernière, le 17 février. Je vous parle aujourd'hui d'un petit bijou de modestie et de joie de vivre extrêmement réussi, d'un objet scénique non identifié (OSNI), du chef d'oeuvre du petit-maîtrisme, le jouissif, l'inconnu, le burlesque, le grotesque, le beau.... "Ragonde ou la soirée de village". Qu'est cela ?, dîtes-vous. Il s'agit d'un spectacle musical (1742) d'un certain Jean-Joseph MOURET, compositeur provençal, sur un livret de Néricault DESTOUCHES. Ces braves gens étaient les "artistes à demeure" de la dûchesse du Maine à Sceaux. Dans le judicieux livret distribué avant la représentation, Serge SAÏTTA, le chef d'orchestre, s'interroge sur le genre de cette oeuvre : opéra (drôle), opéra comique, opérette, comédie musicale ? S'il opte pour la dernière appellation, on peut toutefois considérer qu'elle est un peu de tout cela. Une musique aux normes de l'époque, avec des "airs" facilement reconnaissables et chantables, une orchestration enlevée (avec un usage assez fréquent des percussions) et quelques solos étonnamment rafinés.
Peut-être serait-il judicieux de vous en présenter le scénario : l'histoire se situe dans le milieu de la bourgoisie (galante, voire libertine (?)) d'un village poitevin. Colin, un jeune homme naïf (présenté dans la mise enscène, non sans raison, comme un peu cucul), aime Colette qui en fait, aime Lucas (qui l'aime, mais aussi et surtout, veut la posséder). Le problème est que Ragonde, la vieille mère lubrique de Colette, a jeté son dévolu sur Colin, et compte bien le soustraire à sa fille. Elle conclut donc un pacte avec Lucas : elle lui donnera sa fille, s'il l'aide à conquérir Colin (tous les moyens seront bons). C'est par la peur et la menace qu'il le convaincront d'épouser la veuve, en se déguisant en lutins au service de celle qu'ils font passer pour une puissante sorcière. Colin cèdera et les noces auront lieu, se terminant par un charivari proche du chaos.
Le lecteur peu au fait dui contexte de l'époque pourra prendre cette histoire, voire l'oeuvre toute entière, comme une joyeuseté insipide, voire ringarde. Or, selon moi, il n'en est rien. Cette oeuvre, outre qu'elle marque une date dans l'Histoire de la musique - c'est en effet selon Serge SAÏTTA la première comédie musicale - malgré sa simplicité assumée, se situe dans le cadre de la Querelle des Anciens et des Modernes qui deviendra quelques années plus tard : "Querelle des Bouffons". Notons pour mémoire que si le hasard n'avait pas fait rencontrer à VOLTAIRE des Modernes qui devinrent ses amis (et là, le milieu dit du "Temple" mériterait à lui-seul une note), il aurait probablement rejoint les Anciens (dont il était plus proche de la sensibilité - son théâtre en témoigne, d'ailleurs), et il ne serait peut-être pas devenu ce qu'il fut. Avec Ragonde, que notons nous ? Le sujet profane, voire limite vulgaire, remplace les sujets mythologiques et héroïco-tragiques. Le Poitou (dont le livret nous livre une ou deux tournures idiomatiques) a distancé les Champs Elysées (pas ceux de Paris, ceux de Grêce) ou le Mont Olympe. Le héros vertueux n'est pas vainqueur, c'est le rival pragmatique et machiavélique (splendide Guillaume NADRIEUX). Les motivations de la veuve ne s'entourent d'auscun prétexte : c'est le désir brut, le besoin de possession, une tentative de rattraper le temps, voire de dévorer la jeunesse du partenaire (qui dans la mise en scène devra accomplir (hors champ) le devoir conjugal.
Deux mots sur la mise en scène et l'aspect visuel. Ce qui plaît au premier abord, ce sont les costumes d'époque (à peine modifiés) tous dans une tonazlité de blancs, blanc lumineux, blan cassé, blan écru etc. Ensuite, c'est la jeunesse des chanteurs (sauf Ragonde) et de la danseuse, une très gracieuse jeune femme filiforme qui ressemble à une sylphide (enfin, telle qu'on peu se la représenter d'après les gravures) et la polyvalence d'une des chanteuses, qui s'avère aussi habile joueuse de flûte à bec. Après, j'ai été déçu par la (piètre) technique vocale de Guillaume MICHEL (Colin), mais heureusement, il joue bien. Le rôle féminin de Ragonde était joué par un homme (Dominique BONNETAIN), comme il était d'usage dans ce genre de rôle comique, au théâtre, même si dans l'histoire, Ragonde est une vraie femme. La scénographie, simple, était bien conçue, avec des voiles blancs qui figuraient parfois des rideaux, parfois des troncs d'arbres. Le jeu des lumières contribuait au changement d'ambiances. Enfin, l'accoustique assez bonne donnait au son un cachet intime, capiteux (!), particulièrement jouissif lors des passages instrumentaux calmes (d'une surprenante modernité).
Pour conclure, ce qui fait la réussite complète de ce spectacle, c'est autant la qualité musicale de l'interprétation, les costumes, la mise en scène, les chanteurs, la danseuse, que tout le fait d'assumer la simplicité d'une oeuvre mineure, mais traitée avec sérieux, professionnalisme, plaisir (communicatif), tout simplement. Le public ne s'y est pas trompé (toutes les générations étaient présentes) : la salle comble a réservé un triomphe (mérité) au meilleur (à mon avis) spectacle de l'année. Dommage que vous ayez manqué cela.
Ragonde ou la soirée de village, salle Gérard Philippe de l'Ecole de musique de Villeurbanne, 46 cours de la République Musique : Jean-Joseph MOURET Sur un livret de : Philippe Néricault DESTOUCHES Direction musicale : Serge SAÏTTA Mise en scène : Pierre KUENTZ Travail corporel : Maryann PERRONNE Costumes : David MESSINGER (avec les petites mains de l'ENSATT !!) Avec : Anne-Cécile WATTS-PELEGRIN (danse), Dominique BONNETAIN (Ragonde), Guillaume MICHEL (Colin), Guillaume ANDRIEUX (Lucas), Camille D'HARTOY (Colette), Mathilde MONFRAY (paysanne), Hélène TISSERAND (Mathurine), Clément BUONOMO (Thibault), Emilie ANDRE (choeur), Sophie MAKSOUDIAN (choeur), Rodrigue DIAZ (choeur), Xavier BOURDEAU (Blaise) et un orchestre formidable, incluant notamment AOKI Naoko (1er violon), Etienne GALLETIER (théorbe)