[Voici une nouvelle que son auteur, MC Croche-8 (il m'a laissé le soin de lui trouver un pseudonyme), m'a autorisé à publier. Il s'agit d'un pastiche hommage à Léon BLOY.]
Si l’on avait dit à Isidore Lanausée qu’il serait un jour regardé par la masse imbécile de ses contemporains comme un exemple de la plus haute vertu, on aurait vu se peindre sur sa face méfiante et presque « rétrécie » par l’habitude du soupçon, un étonnement ayant, pour tout observateur impartial, les caractéristiques les plus évidentes de la stupidité.
Pour l’avoir fréquenté quelque peu, du temps de ma jeunesse, et, je vous prie de le croire, sans plaisir ni profit, je puis bien attester de l’exactitude de cette affirmation ! car il faut rendre à Lanausée au moins cette justice qu’il se connaissait bien et ne cherchait guère à tromper son monde en affectant les manières de la piété ou le masque de la bienveillance.
Héritier d’une longue lignée de préteurs sur gages, il avait, dès sa plus tendre enfance, manifesté les plus brillantes dispositions pour un emploi ou ses qualités de chirurgicale froideur et d’avidité quasi gloutonne s’épanouissaient avec une rapidité merveilleuse.
A seize ans, il avait déjà précipité plusieurs faillites, profité d’un nombre respectable de ruines familiales sans pour autant délaisser les profits plus modestes , quoique non négligeables pour la réputation d’une maison, que lui apportaient la mise à sac des dernières ressources d’un nombre respectable de miséreux et loqueteux en tous genres. Ses parents, éblouis par la précocité et les dons du rejeton prodige (dans un domaine, celui de la crapulerie légale et super fine, qui connaît, certes, beaucoup de postulants mais peu de véritables vocations), en pleuraient d’attendrissement. C’était, sans doute, un spectacle bien touchant que de surprendre le récit que, chaque soir, le jeune Isidore faisait aux auteurs de ses jours et dans lequel il détaillait à plaisir la liste de ses quotidiens profits La délectable litanie, qui s’ajoutait à la quiétude lénitive de la digestion, sonnait à leurs oreilles comme une musique des sphères : pour un peu, ils en auraient crevé de joie !
Hélas ! la nature si bien organisée de cet athlète du lucre n’était pas exempte de toute faiblesse, comme il en va généralement chez les sujets les mieux doués de quelque domaine que ce soit, et la sienne avait nom : superstition…
Il arriva qu’étant entré en possession d’une collection de monnaies anciennes, (dernier vestige de la magnificence bourgeoise d’un vieillard réduit à une presque mendicité par une noce effrénée poursuivie assez tard), Lanausée entreprit d’en connaître la valeur réelle. L’expert auquel il s’adressa avec les réticences et les manières d’un conspirateur ne lui laissa aucun doute : l’ensemble était inestimable, absolument sans prix ! Pourquoi se crut-il obligé d’ajouter, sur le pas de la porte, qu’une légende de déveine et de malédiction s’attachaient à ces pièces vénérables ? « mais notre époque positive a dépassé, mon cher Monsieur, de telles calembredaines.. » conclut sournoisement le spécialiste, plein d’une énigmatique et alexandrine componction.
Le ver était désormais dans le fruit qui prit rapidement les dimensions d’une obsession dans la cervelle pourtant cadenassée de l’usurier virtuose. La difficile résolution fut enfin prise de se débarrasser au plus vite de l’ancestral et funeste magot. Il attendit la nuit et, les poches pleines de cette mitraille prétendument ensorcelée, il se dirigea prestement vers les quais, refuge habituel d’une sub-humanité en voie de fossilisation. Dans un coin isolé, il avisa le plus minable des minables représentants de cette honorable corporation et, sans un mot, il déversa le contenu de ses poches dans la sébile du pitoyable homoncule. « Vous êtes un prince, s’écria celui-ci en s’accrochant précipitamment aux basques de son habit, vous êtes mon sauveur », et relevant la tête il ajouta soudain : soyez béni Monsieur Lanausée »
Ce fut comme une commotion pour Isidore : par quel prodige cette face hirsute et presque informe l’avait-elle reconnu ? Il se dégagea brutalement tandis que résonnaient de plus en plus fort les clameurs laudatives du mendigot intempestif. « Soyez béni, monsieur Lanausée. Vous êtes un saint ! » C’en était trop : en un instant il vit sa réputation compromise, sa famille si honorablement connue dans les milieux d’affaires soupçonnée, par sa faute !, d’une infamante compassion. Il aurait voulu crier : « c’est un mal-en-ten-du ! » mais les sons s’étranglèrent dans sa gorge avant même d’en pouvoir s’extraire… Il tomba raide mort : le cœur, voyez-vous, le cœur…
Et c’est ainsi qu’une carrière prometteuse de canaille ordinaire se trouva fort inopinément interrompue.