Une fois encore, France Culture me fournit le thème de ma note. Je vais ce soir évoquer brièvement la figure d'Epictète.
J'ai découvert Epictète, un peu par bonus lorsque je me suis vu offrir les Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, qui devint mon philosophe préféré et reste un de mes favoris. L'édition GF contenait le Manuel d'Epictète, recueil mis en forme de notes de cours de son disciple Arrien de Nicomédie. Tout comme Socrate, Epictète n'écrivit rien, ou en tout cas, rien dont nous eussions connaissance de l'existence. Et ce n'est pas étonnant, de la part d'un homme absolument humble, qui vécut jusqu'au bout selon ses principes. Le philosophe idéal, en somme. Ayant quasiment lu à la suite les deux oeuvres (plutôt qu'auteurs, considérant les conditions de rédaction du Manuel), j'ai pu les comparer à ma façon, naïve et spontanée, libre de tout préjugé que m'aurait fourni un cursus universitaire littéraire. Indéniablement, je dois reconnaître que l'oeuvre de Marc-Aurèle est plus littéraire, hautement littéraire, même, et que l'auteur, empereur romain, s'y peint à son avantage, parfaitement en accord avec sa philosophie du détachement. Pourtant, lui qui feint de mépriser la sexualité ne s'est pas privé de faire de nombreux enfants, ce qui peut porter à sourire. Reste que Marc-Aurèle a poussé, approfondi, la pensée d'Epictète qui nous est présentée par Arrien. Pensée admirablement claire et simple, qui m'apparut comme une de plus proches de la vérité et du bien auxquels tend "l'homme de qualité" (pour reprendre le terme employé par Confucius) tel que je le conçois. En gros, il existe deux types de choses : ce qui dépend de nous, et ce qui ne dépend pas de nous. Les premières sont notre volonté et notre acceptation de nous conformer aux évènements produits par la Nature ou le grand tout (cela peut être Dieu, ou les dieux, ou les causes et les effets etc., selon sa croyance) ; les secondes sont les contingences matérielles : la douleur, l'ambition, les évènements fâcheux de l'existence. Notre volonté doit nous servir à ne pas nous affliger de choses qui nous sont complètement extérieures, et à modérer nos passions dans la mesure du possible. L'ataraxie, ou état de plénitude où les passions sont réduites par notre volonté pour nous en remettre à la totalité du monde, est en fait beaucoup plus active que l'état d'éveil du bouddhisme, alors qu'au premier abord on pourrait les confondre. Pour le stoïcien, il ne s'agit pas de devenir une pierre ou une feuille, mais seulement un homme libre, qui ne juge personne, ne loue ni ne blâme personne, qui agit selon ses principes, dans la simplicité. Cet idéal, qui a été repris et adapté par certains chrétiens, est aussi parfaitement compatible avec l'athéïsme, et ne requiert nulle médiation particulière, simplement une attention à ce qui se passe, afin de déterminer si telle ou telle chose relève de soi ou non.
Epictète parlait le grec de la rue (il n'avait pas eu la chance de bénéficier d'une bonne éducation, étant esclave, puis affranchi), Marc-Aurèle parlait le latin et décida d'écrire en grec, langue des intellectuels de l'empire romain. L'un fut parfaitement, absolument, en accord avec sa philosophie (pauvreté, modestie), l'autre le fut presque parfaitement, autant qu'on peut l'être quand on est empereur de Rome (et qu'on fait dévorer quelques chrétiens). Je ne suis pas tendre avec Marcus-Aurelius, et pourtant, je l'ai toujours préféré à Epictète (pour qui j'éprouve la plus grande admiration morale) : que voulez-vous, la littérature parle à mon coeur. Ces deux discours, livrées pour des raisons de commodité dans le même petit livre, iront donc toujours parallèlement et complémentairement dans mon souvenir. Pourtant, ces deux philosophes sont loins d'avoir été les seuls stoïciens. Sénèque le latin (il resta latin jusqu'au bout) fait alors son entrée. Il me faut alors vous quitter pour aller... le lire.
La meilleure façon d'être rebelle, c'est d'obéir au grand Tout.
"Les vendredis de la philosophie", émission de France Culture du 20 mai 2005
Pour un aperçu historique et une présentation des principaux auteurs stoïciens (site de l'Académie de Lyon) :
http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/philosophie/thist3.html
Commentaires
j'ai conservé précieusement le Manuel découvert à mon adolescence ( très loin ...) non loin de ma Bible
Pas plus volumineux que le Prince de Machiavel, le Manuel contient de précieuses maximes et conseils de vie.