Je viens de terminer la lecture d'un ouvrage fort (ré)jouissant. Il s'agit du dernier livre d'Alina REYES : Le carnet de Rrose. Vous avez bien lu : le redoublement du "r" n'est (pour une fois !) pas dû à une faute de frappe de ma part. Faut-il y voir une allusion à Rrose Sélavy, personnage créé par Marcel Duchamp (en 1920) ? Peut-être, mais je préfère y voir (et le lecteur n'a-t-il pas le droit de voir ce qui lui plaît) un léger rraclement de la gorrge, comme pour se l'éclaircirr aprrès s'en êtrre serrvi (qui sait ?), un léger roulement d'accent polonais. Comme aussi une insistance à rrépéter cerrtaines choses.
Je ne suis pas un habitué de la littérature dite érrotique. Quand je pense à la littérature, je me concentre sur les auteurs, leur style, leurs thématiques plus que sur le genre lui-même. Ainsi par exemple, bien que n'ayant pas d'intérêt particulier pour le genre policier, j'apprécie beaucoup le roman La promesse de DÜRRENMATT (et ce livre dépasse à mon sens le cadre du roman policier, si tant est, bien sûr, qu'il y en ait un) ou les Juge Ti de Robert Van GULIK (et ce, pas seulement grâce au cadre asiatique dans lequel ils se déroulent), mais pour la re-création de tout un monde cohérent, peuplé de personnages crédibles, incroyablement vivants.
Bref, j'ai lu ce livre en ayant davantage à coeur de découvrir un auteur que de me retrouver devant un genre. Vous me direz, au final(e), quelle différence ? Pas grand chose, si ce n'est que je n'ai pas cherché à comparer ce livre à ceux de la même catégorie. J'ai seulement voulu savoir s'il était bon ou pas. Et, ma foi, et sympathie pour son auteur mise à part, je peux affirmer qu'à mes yeux, oui, il l'est.
Tout d'abord, dans sa forme. Loin d'être le reflet d'un manque, sa brièveté m'apparaît au contraire comme la marque d'une maîtrise. On ne s'ennuie jamais (ce qui semble être le risque en matière de littérature érotique) car ce n'est pas trop répétitf, et la forme éclatée, teintée ça et là d'une intertextualité discrète qui évoque un peu à la fois MONTAIGNE et les blogs, permet partcilièrement bien la relecture, voire la relecture "au hasard", comme il arrive à certaines personnes de le faire avec la Bible, ou comme je le fais moi-même parfois avec les Mémoires de SAINT-SIMON.
L'expression est limpide, précise, crue souvent, mais sans laideur, et surtout, et là je ne serais pas étonné d'apprendre qu'elle est le fruit d'un grand travail, dégage une impression de simplicité et de modestie joyeuse et joueuse.
Pour ce qui est du fond, là encore, comme cela a été remarqué ailleurs, il ne s'agit pas de l'histoire d'une femme facile, ou pire. Non, il s'agit d'une femme, certes fort lubrique, mais fidèle à chaque fois à son amant du moment. Et la liste de ces hommes se monte à huit, ce qui est à la fois beaucoup (en terme d'amours) et peu (comparé à des personnages plus sexuellement compulsifs). Cette Rrose, qui m'apparaît comme à la fois meneuse du jeu et généreuse amoureuse, est en même temps le sexe lui-même, et la femme qui le possède, une femme que la plupart des hommes normalement consitués rêverait de rencontrer, en rêve tout du moins. Ceci étant, peut-on parler d'un livre qui ne se lit que d'une main ? Pour ma part, si j'avoue certes avoir été troublé, je l'ai lu en gentlemen, tout habillé, le plus souvent à ma table de bureau, tout simplement. J'en ai fait lire quelques extraits à ma mère (complètement mal à l'aise) et à ma grand-mère, simplement surprise par la sincérité, la liberté et la précision des mots de cette femme qui osait tout dire. Mais elle n'est pas allée jusqu'à en lire plus de deux paragraphes. La grandeur de ce petit livre vient donc à mon sens de ce qu'il est dépourvu de prétention, et que ce qu'il fait, il le fait bien. Et c'est même au milieu de la description de l'activité la plus animale qu'il décrit avec le plus de justesse certains des mécanismes psychologiques, voire symboliques à la limite du religieux (mais ne s'agit-il pas alors de re-lier les gens entre eux ? ), qui agissent dans la femme dans ces moments-là. Probablement y a-t-il plusieurs niveaux d'appréciation de ce livre, et c'est fort bien comme cela. Beaucoup peuvent y trouver leur compte. Pour ma part, il m'a semblé, l'espace des instants fort agréables qu'il m'a fait passer, que je comprenais ce que pensait la narratrice - qu'il ne faudrait pas, je pense, confondre complètement avec l'auteur - et qu'au delà de ses propres désirs qu'elle assouvissait dès la première page du livre, c'était aussi pour le lecteur respectueux qu'elle le faisait. Car, au fond, dans ce livre, la vraie jouissance, plus que celle des corps, c'est celle des mots qui les disent.
Alina REYES : Le carnet de Rrose, Robert Laffont, Paris, 2006, 60p., 10 €.
Commentaires
All, vous êtes un audacieux ! Passer ce livre à votre mère et votre grand-mère ! Ça me plait beaucoup.
Merci pour cette note. Je voudrais bien l'ajouter à la liste des lectures de ce "carnet" sur mon blog, mais l'accès m'en est bloqué depuis ce matin - un bug d'haut et fort alors que j'en demandais la suppression... le blog pour moi c'est fini et tous seront effacés dès que possible. Mais je vais la mettre en lien dans la biblio de mon site.
Belle journée à vous, bonne nature !
Le blog, c'est fini ?! Que dîtes-vous là ? Et nous, les lecteurs fidèles ?! Argh... C'est vraiment dommage. Enfin, j'irai davantage sur votre site, alors. Merci beaucoup pour votre réaction.