En ce moment, je travaille sur une manuel de français assez "français". Je m'explique : écrit et conçu par des français et relu par un Japonais pour que les énoncés des exercices soient compréhensibles par les Japonais, il est très français dans sa conception. Voici quelques exemples qui m'ont frappé.
Les dessins tout d'abord. A part les horribles gribouillons d'OGATA Issey, un designer que je ne connaissais pas, les dessins sont réalisés par des Français. Or force m'est de constater qu'à chaque cours, ces dessins qui sont là pour aider à la compréhension posent plus de problèmes que le texte ou les mots qu'ils sont censés expliquer. Ainsi le dessin d'une adolescent avec sa planche à roulette, censé représenter l'adjectif "jeune" a-t-il été interprété comme représentant l'adjectif "extravagant. Un dessin montrant un boxeur avec ses gants de boxe, censé représenter des "gants" n'a-t-il pas fait sens du tout : il faut savoir qu'en japonais, il existe deux mots pour dire "gants", les Japonais considérant que ces deux mots représentent des objets qui n'ont rien à voir : tebukuro 手袋, des gants souples en cuir ou en laine pour se protéger du froid, et gurôbu グローブ, des gants de boxe ou de protection. Ainsi la représentation d'un personnage portant des gurôbu ne saurait amener à dire "gants" pour parler de ses tebukuro, d'où le blocage et l'incompréhension.
Autre exemple, le lien culturel entre des concepts et des couleurs : il fallait associer des couleurs à des choses et dire "... comme ...". Eh bien l'extreterrestre était associé à la couleur violette, et la colère à la couleur grise. Il fallait donc expliquer, et parler des "petits hommes verts" et des "petits gris", de la colère qui était associé au rouge à cause du visage de la personne furieuse, pris d'un coup de sang.
La différence entre "extra-terrestre" et "alien" posa également problème, un "eirian" エイリアン représentant en japonais tout extra-terrestre, alors qu'en français, suite au film éponyme, il ne saurait représenter qu'un extraterrestre belliqueux. J'ai ensuite expliqué à mes élèves que leur pays appelait le titre de séjour des étranger d'une double appellation japonaise et anglaise, la seconde s'intitulant "Alien Registration Card" et non "Foreigner registration Card". Venant du gouvernement, un tel choix n'est pas anodin. Rappelons que le mot français alien, vient de l'anglais alien qui lui-même vient du latin alienus, qui signifie "étranger", tout simplement. Il avait également ce sens en anglais jusqu'à une période récente, mais l'emploi du mot foreigner a fait glisser le sens d'alien vers celui d'extra-terrestre, plus précisément d'extra-terrestre belliqueux.
L'énoncé des exercice, bilingue français-japonais, fait par ailleurs rarement sens pour mes élèves. Ils ont beau lire l'énoncé japonais, rédigé en japonais correct (j'ai fait confirmé par un collègue japonais), cet énoncé ne fait pas sens. Je dois passer autant de temps à leur expliquer en quoi consiste l'exercice, et quel est son but, qu'à faire l'exercice lui-même.
Un des innombrables problèmes de mes "apprenants" japonais est la compréhension des registres de langue. En japonais il existe des registres de respect et d'élégance, mais c'est le respect qui prédomine, alors qu'en france, c'est plutôt l'inverse, un registre soutenu n'ayant rien à voir avec du respect et pouvant au contraire afficher un froid mépris condescendant. D'où cette noncompréhension absolue de mes étudiants, et une tendance presque systématique à choisir toujours la façon la plus familière, voire vulgaire, dès lors qu'on leur en présente plusieurs. La seule solution pour les faire parler poliment est de ne pas leur présenter de formes vulgaires. Problème : elles figurent dans le manuel, et au Japon, le manuel, quoi qu'il dise, est pris comme parole d'évangile par les élèves. Tout le monde voit où porte mon regard, j'imagine.
Enfin, les phrases choisies dans le manuel reflètent notre façon de penser française. Ainsi par exemple ce qui a trait à la consommation de boisson se situe dans un contexte socio-culturel bien français. Ainsi en France, un "non merci" veut dire "non", alors qu'au Japon il veut dire "oui, redemande-le moi encore deux fois, parce que je ne veux pas te déranger". De même, l'attitude face aux éléments et au climat. En France, une intempérie entrainant un désagrément pousse le Français à chercher des solutions et à les appliquer le plus vite possible. Ainsi ce genre d'échanges : "J'ai chaud. - Tu as chaud ? Prends un lait froid". Dans une méthode de japonais pour étrangers, rédigée par des Japonais, on aurait eu un échange de ce genre : "Quelle chaleur ! - Oh oui, quelle chaleur ! - C'est pénible, n'est-ce pas ? - Oh oui ! Vraiment, quelle chaleur ! (Arrive Mike, le gaijin local) : "Vous voulez une boisson ? Les Japonais : - Non merci, excusez-moi."
Je reviendrai dans une autre note sur les rapports entre le climat et l'architecture.
Commentaires
Merci pour cette petite anecdote sémantique et sémiologique. Les différentes significations culturelles apposées au signe, peuvent parfois générer de véritables confusions. J'ai dû mettre un certain temps pour m'adapter au hochement de tête indien (oscillant de gauche à droite avec de légères inflexions en rotation), signifiant l'approbation ; alors qu'il aurait tendance à exprimer l'hésitation chez une personne occidentale.
De la même façon, les mains posées sur la tête, signifient le deuil en Afrique de l'Ouest, et non l'expression d'un quelconque relâchement, qui serait du plus mauvais effet lors d'une mise en bière bien de chez nous !
Merci pour votre intéressant commentaire. C'est la première fois que vous passez ici, n'est-ce pas ? Bienvenue dans cet espace.
Merci pour votre accueil ! J'ai pris connaissance de votre site par le biais de PKK, et je retrouve dans vos billets d'exil certaines articulations psychologiques qui m'ont également poussé à quitter la France. De plus, vos sous-titres en kanji exercent en moi un pouvoir d'attraction graphique ! Bravo en tout cas pour ce bilinguisme.
Too funny, I wanted to write you an e-mail about it, but chotto isogashii naa ...
A Design Anatomy : Le blog permet la rencontre d'esprit à esprit et je suis ravi de nouer un nouveau dialogue avec quelqu'un comme vous.
A JapanJedi : Hallo Sûgaku no shishô, hisashiburi da naa. Wie geht es la life ? Tokorode, hast du meinen Artikel in französich gelesen ? oder hast du den sugoi Google Übersetzung benützt ?
Itsudemo,ich warte auf dein Mail.
intéressant en effet... Pour chipoter, n'allez pas dire que l'Alien de ridley Scott est de type belliqueux! Cet adjectif conviendrait pour les envahisseurs et autres créature de la guerre des mondes.
Le 8ème passager est bien moins "humain", plutôt une créature psychopathe. C'est ce qui le rend si fascinant.
Yo, you've got mail … I've tried all language versions, veeeri fannii!
Voici un beau lieu tel que vous les aimez!
http://perso.orange.fr/derelicta/chapdarb3.htm
Bonjour d'un Todien qui fait escale au Japon.
Merci Isabelle. J'adore !
Zlu, qu'est-ce que tu viens faire au Japon pendant cette saison ? Fais attention à ne pas prendre frois à cause de la climatisation.