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BLOY par Georges AURIC

« J’avais seize ans lorsque je fis la connaissance de ce vieil homme, insolite et fascinant : Léon Bloy. Le grand pianiste Ricardo Vines le connaissait fort bien et savait à quel point j’étais attiré par son œuvre et sa personne.

Sans hésiter, il me conseilla : « Il faut que vous alliez le voir. Vous serez étonné. Ce n’est pas du tout l’homme que l’on imagine et je suis presque sûr qu’il vous accueillera très bien. »

J’ai écrit à Léon Bloy qui habitait à cette époque Bourg-la-Reine. Lorsque je me décidai, un jour, à sonner à sa porte, alors que je craignais qu’il ne me mit dehors, il me reçut avec une grande cordialité. Je restai plusieurs heures à l’écouter et, dès ce premier jour, il m’offrit un de ses livres, déjà épuisé, avec une belle dédicace…

C’est ainsi que j’ai peu à peu pris l’habitude d’aller chez Léon Bloy et, pour finir, d’aller dîner chaque jeudi chez lui. Je puis donc témoigner de ceci : cet homme dont on m’avait dit : « attention, petit Auric, c’est un mendiant…et un mendiant ingrat », n’a jamais demandé un sous à l’adolescent qu’il avait la bonté de recevoir.(…)

J’ai vu Léon Bloy vivre et je l’ai vu s’éteindre. J’étais chez lui à ces instants-là et c’est d’ailleurs la seule fois où j’ai assisté aux derniers moments d’un être cher, même très cher.

Cela s’est passé avec une extrême et poignante simplicité. Il était très malade, depuis quelques jours, nous le savions perdu. Le samedi 3 novembre 1917, j’étais venu à Bourg-la-Reine, très inquiet. Nous étions dans sa chambre, sa femme, ses deux filles, Pierre Van der Meer et moi. Et soudain, ce fut la fin… Sur le moment même son visage a changé. Il y a, paraît-il, des êtres que la mort défigure et rend effroyables. D’autres auxquels elle apporte la paix. Le visage de Léon Bloy, ravagé, creusé par toutes sortes de souffrances, de misères, de douleurs, ce visage, soudain, était là, devant nous, devenu d’une admirable sérénité.(…)

…J’aime fort peu Renan. Avons-nous le droit, parce qu’elle a traîné dans les pires écritoires, de refuser la phrase de Renan que François Mauriac citait avec effroi : « Il se pourrait que la vérité fût triste. »

Mais il y a aussi la phrase qui, dans l’œuvre de Léon Bloy, domine la Femme pauvre : « il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints. »

Profondément indifférent aux sourires, aux surprises que je ne devine que trop vite, ne puis-je à mon tour rêver ? Il n’y a qu’une tristesse (peut-être, peut-être…) c’est de n’être pas vraiment, c’est de n’être plus vraiment des chrétiens. »

Extrait de : Georges Auric, Quand j'étais là... (1978)

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