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De Salluste

"Il eut toujours des lumières très justes sur le bien et sur le mal."
Charles de BROSSES, Président au Parlement de Dijon

"Salluste se met en scène, et (...), en se faisant à contre-temps moraliste, il ne blesse pas seulement le goût, il ment encore à la vérité, et veut se donner le masque de vertus qu'il n'a pas ; comme Sénèque, qui écrivait sur la pauvreté avec un stylet d'or, il prêche la morale au milieu des richesses, fruit de ses déprédations."
François RICHARD, 1933


Aujourd'hui, pas de réflexion, juste une citation qui constitue une petite pierre de plus à ma mini anthologie de la littérature mondiale. Auteur découvert par hasard, Gaius Sallustus Crispus (87 avt. J.C. - 36 avt. J.C.) semble avoir mené une vie fort active, physiquement (campagnes militaires peu glorieuses), mais surtout intellectuellement (c'est un avocat, un historien et un moraliste) et socialement (carrière politique pleine de renversements, avec des "affaires" dont il ne sort pas grandi) et, quoi qu'il en dise, n'avoir pas dédaigné les plaisirs matériels de le vie (il est chassé du Sénat pour "immoralité"). Ce texte offre des réflexions menées par une certaine idée d'un idéal moral, fait de sobriété et d'ascétisme, mais cette contradiction (ou cette réécriture autobiographique, tentative d'induire en erreur les générations futures sur ce que fut sa vie) ne doit pas nous faire dédaigner une oeuvre majeure qui n'a cessé d'être lue.
En supprimant les noms propres, on est en outre frapé par l'actualité de tels textes, comme souvent, d'ailleurs, chez les Anciens.

"I. - L'homme a tort de se plaindre de sa nature, sous prétexte que, faible et très limitée dans sa durée, elle est régie par le hasard plutôt que par la vertu. Au contraire, en réfléchissant bien, on ne saurait trouver rien de plus grand, de plus éminent, et on reconnaîtrait que ce qui manque à la nature humaine, c'est bien plutôt l'activité que la force ou le temps. La vie de l'homme est guidée et dominée par l'âme. Que l'on marche à la gloire par le chemin de la vertu, et l'on aura assez de force, de pouvoir, de réputation ; on n'aura pas besoin de la fortune, qui ne peut ni donner ni enlever à personne la probité, l'activité et les autres vertus. Si, au contraire, séduit par les mauvais désirs, on se laisse aller à l'inertie et aux passions charnelles, on s'abandonne quelques instants à ces pernicieuses pratiques, puis on laisse se dissiper dans l'apathie ses forces, son temps, son esprit ; alors on s'en prend à la faiblesse de sa nature, et on attribue aux circonstances les fautes dont on est soi-même coupable. Si l'on avait autant de souci du bien que de zèle pour atteindre ce qui nous est étranger, inutile, souvent même nuisible, on ne se laisserait pas conduire par le hasard ; on le conduirait et on atteindrait une grandeur telle que, loin de mourir, on obtiendrait une gloire immortelle.

II. - L'homme étant composé d'un corps et d'une âme, tout ce qui est, tous nos sentiments participent de la nature ou du corps ou de l'esprit. Un beau visage, une grosse fortune, la vigueur physique et autres avantages de ce genre se dissipent vite, tandis que les beaux travaux de l'esprit ressemblent à l'âme : ils sont immortels. Tous les biens du corps et de la fortune ont un commencement et une fin : tout ce qui commence finit ; tout ce qui grandit dépérit ; l'esprit dure, sans se corrompre, éternellement ; il gouverne le genre humain, il agit, il est maître de tout, sans être soumis à personne. Aussi, peut-on être surpris de la dépravation des hommes qui, asservis aux plaisirs du corps, passent leur vie dans le luxe et la paresse, et laissent leur esprit, la meilleure et la plus noble partie de l'homme, s'engourdir faute de culture et d'activité, alors surtout que sont innombrables et divers les moyens d'acquérir la plus grande célébrité.

III. - Mais, parmi tous ces moyens, les magistratures, les commandements militaires, une activité politique quelconque ne me paraissent pas du tout à envier dans le temps présent ; car ce n'est pas le mérite qui est à l'honneur, et ceux mêmes qui doivent leurs fonctions à de fâcheuses pratiques, ne trouvent ni plus de sécurité, ni plus de considération. En effet recourir à la violence pour gouverner son pays et les peuples soumis, même si on le peut et qu'on ait dessein de réprimer les abus, est chose désagréable, alors surtout que toute révolution amène des massacres, des bannissements, des mesures de guerre. Faire d'inutiles efforts et ne recueillir que la haine pour prix de sa peine, c'est pure folie, à moins qu'on ne soit tenu par la basse et funeste passion de sacrifier à l'ambition de quelques hommes son honneur et son indépendance.

IV. - Aussi bien, parmi les autres travaux de l'esprit, n'en est-il pas de plus utile que le récit des événements passés. Souvent on en a vanté le mérite ; je ne juge donc pas à propos de m'y attarder, ne voulant pas d'autre part qu'on attribue à la vanité le bien que je dirais de mes occupations. (...)
J'ai souvent entendu dire de (...) grands citoyens romains que, en regardant les images de leurs ancêtres, ils se sentaient pris d'un ardent amour pour la vertu. A coup sûr, ce n'était pas de la cire ou un portrait qui avait sur eux un tel pouvoir ; mais le souvenir de glorieuses actions entretenait la flamme dans le coeur de ces grands hommes et ne lui permettait pas de s'affaiblir, tant que, par leur vertu, ils n'avaient pas égalé la réputation et la gloire de leurs pères. Avec nos moeurs actuelles, c'est de richesse et de somptuosité, non de probité et d'activité, que nous luttons avec nos ancêtres. Même des hommes nouveaux, qui jadis avaient l'habitude de surpasser la noblesse en vertu, recourent au vol et au brigandage plutôt qu'aux pratiques honnêtes, pour s'élever aux commandements et aux honneurs : comme si la préture, le consulat et les autres dignités avaient un éclat et une grandeur propres, et ne tiraient pas le cas qu'on en fait de la vertu de leurs titulaires. Mais je me laisse aller à des propos trop libres et trop vifs, par l'ennui et le dégoût que me causent les moeurs publiques...
"

Salluste, Guerre de Jugurtha


Pour en savoir plus :

Les Oeuvres complètes de SALLUSTE :
http://remacle.org/bloodwolf/historiens/salluste/intro.htm

L'affaire Catilina : sur un ton journalistique, la passionnante chronique de l'affaire comme un fait d'actualité, par une classe de... 6èmes !
http://pot-pourri.fltr.ucl.ac.be/itinera/travaux/aff_cat/aff_cat_default.htm#anc01

La guerre avec Jugurtha, au Maghreb (aspect archéologique et géographique) :
http://www.jugurtha.com/page4.html

Commentaires

  • C'est un auteur qui m'a toujours beaucoup plu, du fait de son (apparente ?) ambiguïté.
    Et puis étrangement, la figure de Jugurtha l'a arrêté. Et il est bien le seul. Vraiment un personnage qu'il faut compter parmi les plus intéressants.

  • Voilà que nous avons encore un point commun ! Dommage que nous ne puissions pas discuter de vive voix. Je suis sûr que ce serait passionnant.

  • Ah, De conjuratione catilinae ! C'était hier, au lycée. J'ai la traduction, dans la collection 10-18 des premières années 60.

  • Content que mon choix vous plaise, Jacques. Je découvre cette année.

  • jé pa trouvé grand choz ds ça!!

  • Y'en a qui, en tout cas, n'y ont pas trouvé l'orthographe.

  • Commentaire intéressant. Je ne connais que les écrits de Salluste et donc j'ignore tout de sa biographie. Mais s'il a vraiment mené une vie dans le pouvoir, la débauche, le luxe, n'est-il pas un des mieux placés pour indiquer aux autres comment s'en sortir (comme Sénèque)? Il ne dit jamais qu'il est parfait, mais toujours que la nature humaine a des faiblesses et qu'il faut chercher à les endiguer.

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