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De la radio au grigri ou de la terminologie comme phénomène politique ブランリ河岸美術館について

Pour une fois que je me sens autorisé à parler de ma spécialité, en quelque sorte, je vais vous donner mes impressions sur tout ce bruit qui a entouré la création du Musée du quai Branly.

I Tout d'abord, je remarque que ce musée, qui n'a finalement pas été nommé "Musée des arts premiers", est au final un musée sans nom. Il en aurait eu un s'il s'était appelé Musée Branly, mais non. Branly ne peut donner son nom en même temps à un quai et à un musée. C'est bête, pour ce grand homme, on n'a eu qu'une demi-attention, et encore est-ce en s'en moquant royalement. Fausse modestie tout cela : il eût mieux vallu l'appeler "Musée Jacques Chirac", et tout aurait été clair et incontestable.  Ce musée a donc la triste particularité de faire partie des quelques musées sans vrai nom. Car soit on l'appelle Musée Branly, en hommage au scientifique (inventeur, rappelons-le, du détecteur d'ondes électro-magnétiques), soit on l'appelle Musée ethnographique, ou Musée des Arts premiers (ou ce que vous voulez, là n'est pas encore la question), soit les deux : Musée Edouard Branly des Arts premiers. Pour ma part, j'aurais préféré un nom d'ethnographe (je prêche pour ma paroisse). Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Mais le problème, car problème il y a, semble-t-il, est qu'on a cherché à supprimer toute réflexion ethnographique, anthropologique et géographique. Je m'explique : on s'extasie sur ces oeuvre, et on va les voir pour la première fois (car le snobisme ovinement panurgesque joue aussi beaucoup) mais on oublie que pour la plupart, elles étaient exposées en France depuis déjà belle lurette, certes dans un cadre moins "concours d'architecture" (ce bâtiment est en tout cas plus lumineux et fonctionnel que l'affeux aménagement intérieur de notre opéra nouvélien), mais tout autant, sinon plus, scientifique : le Musée de l'homme, le Musée national des arts d'Afrique et d'Océanie et, pour une petite partie d'entre elles, le Musée du Louvre. Ainsi donc, il suffit de changer l'écrin pour que le bijou paraisse plus séduisant, ou pour qu'il apparaisse comme tel. Mais ce qui est le plus inquiétant, n'es-ce pas la minimisation des rôles social, fonctionnel et autres au profit de la seule nature artistique, décrétée égale à celle des autres civilisations. Or, rien de plus subjectif que la notion même d'Art, puisque chaque école de pensée a la sienne, et que souvent même on en trouve plusieurs au sein d'une même école, voire une par individu. Et chacun est persuadé d'avoir raison, moi comme les autres (donc que les autres se trompent).
Certains ont vu là la seule grande réalisation d'un chef d'état passionné d'Art non européen (car c'est bien la seule façon de classer des objets venant de pays aussi divers et n'ayant pas la même fonction d'un pays, d'une ethnie et d'une époque à l'autre), sans autre dimension politique que de laisser une trace, après Pompidou et Beaubourg, Mittérand et L'Arche de la Défense, la pyramide du Louvre et la Bibliothèque nationale (stupidement tout en verre, ce qui coûte donc une fortune en climatisation, mais passons). Pour ma part, je crois que rien de ce que fait un chef de l'Etat n'est dénué, sinon d'intention politique, du moins de signification et de conséquences politiques.

II Que nous montre tout cela ? J'y vois deux choses : tout d'abord, une nouvelle mise au ban de l'ethnographie, qui ne s'enseigne plus que dans une poignée d'universités en France. Cette science, nous enseignait la différence  et lamise en contexte de toute chose. A dire cela, je comprends finalement pourquoi on l'apauvrit : tous les jours, à la télévision et dans le discours de bon nombre d'hommes politiques, on ne fait que juger du passé avec les critères d'aujourd'hui, en tirant tout hors de son contexte, ce qui fait passer les hommes du passé pour fous. On perd le sens (à tous les sens du terme, d'ailleurs).
J'observe donc aussi un mouvement qui cherche à s'inscrire dans la globalisation dans ce qu'elle a de plus facile : le tout et n'importe quoi. A la mondialisation, celle des banques de données et des encyclopédies libres, je dis : oui. Celle du tout indifférencié, du "tout se vaut", du "tout est de l'art, et quand tu ris, j'ai envie de dire que tu es poète" etc., celle-là ne correspond pas à ma recherche du beau et du vrai. Je dis cela, mais que l'on aille pas croire que je ne considère pas comme de l'Art les pièces de ce musée. Je ne parle pas des pièces en elles-même, mais du discours idéologique de plus en plus pesant qui envahit jusqu'à l'éducation nationale.
A force de vanter l'aspect visuelle de certaines pièces, on oublie que pour certaines, elles étaient faites à la chaien, selon un modèle préétabli, et sans aucune prétention artcistique, voir avec une visée fonctionnell, minimisée comme je l'ai dit.
En supprimant le cadre scientifique, déjà imparfait en lui-même pour le remplacer par un environnement tendance, cool, je ne suis pas sûr que notre pays (mais est-ce vraiment notre pays qui l'a fait ?) ait fait un pas en avant dans le devoir de recherche de la vérité et l'enseignement de cette vérité aux concitoyens, en particulier les plus jeunes.

Par ailleurs, si la situation n'était pas si dangereuse - car qui sait si dans quelques temps, je ne serai pas obligé de retirer des notes de ce genre, considérées comme contraires à la loi ou hautement subersives ? - elle serait drôle. C'est ce concept d'Arts premiers, qui m'intéresse. Aujourd'hui, ceux qui l'interdisent (et qui ont fait retourner sa veste à M. notre président) étaient jadis ceux qui l'exaltaient. Les personnes qui l'avaient inventé voulaient dire par là : "Arts très vieux, à la base de tout et pas du tout "primitifs" : on est plus des sales colons". Aujourd'hui, on le critique à deux titres, le premier est acceptable, le second est une annerie. Premièrement, ce qui est vrai, c'est que certaines des pièces sont récentes (le XXè siècle, pour certaines) et ne constituent en rien des pièces antiques, donc chronologiquement "premières". La seconde objection, l'annerie, voudrait que l'expression n'ait aucun sens, et que ces oeuvres ne soient pas antérieures en termes de technique, de civilisation, et ne proviendraient pas de contextes économiquement moins développés que ceux des pays riches. Enfin, dernière remarque, j'ai entendu quelque part que de toute façon, "l'art nègre", pour ne parler que de lui, tel qu'il se produit aujourd'hui, est désormais davantage produit pour les bourgeois blancs. Même dans les pays les plus pauvres, on trouve des artistes qui font autre chose. Peut-être est-ce une des choses que l'on puisse regretter : en donnant l'aval artistique à certaines formes d'art ou d'expression de pays pauvres, on a détourné ces pièces de leur origine, on les a muséifiées, et n'est-ce pas là que commence la disparition des civilisations qui les ont vue naître ? Qu'on se rassure, toutes les civilisations naissent et meurent, les autres comme la nôtre. Les civilisations qui se sont succédées sur le territoire qui correspond à peu près à la France actuelle ont eu des chef d'oeuvres plus ou moins bons, des réussites, des décadences etc. Notre époque, n'en doutons pas, verra quelques uns de ses fleurons figurer, dans les musées de nos descendants (et je serais curieux de connaître leurs thématiques et leurs critères de choix), si tant est qu'ils en aient envie... ou qu'ils existent encore.

Commentaires

  • Ce n'est pas une société. Pas de Capital. Pas d'échanges commerciaux. Simplement des restes après la grande fête littéraire du siècle dernier. Hirsute, c'est l'accouchement raté du collectif littéraire le plus décousu et le plus anachronique que notre époque sans épique ait pu purger.



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