A la fin des cours, Axel retomba sur Guillaume.
"Tiens ! Guillaume. Tu as vu Pablo ?
- Il a filé après le cours. Il a dû aller à son club. Bon ! Moi, je rentre. Qu'est-ce que tu fais ?
- Je dois passer à mon bureau avant. Je ne sais pas pour combien de temps j'en aurai. Vas-y, ne m'attends pas.
- OK, à tout à l'heure. Ne bosse pas trop.
- A ce soir."
Une heure plus tard, Axel sortait de la gare de Toda. Il se dirigea vers la résidence. Sur son chemin, il croisa peu de monde. La ville semblait plongée dans la torpeur et le silence, un silence de mort. Il passa devant le garage où un pauvre chien était toujours attaché par une courte corde sept jour sur sept, sans rien à faire. Mais cette fois, l'animal gisait inanimé sur le sol, l'oeil révulsé, les pates écartées, la gueule ouverte d'où pendait une langue violacée. Un forte odeur nauséabonde envahissait l'air. Axel se boucha le nez et hâta le pas. La pauvre bête, pensa-t-il, est enfin libérée d'une vie d'esclave, perpétuellement enchaînée.
Arrivé à la résidence, il ne croisa personne. Le concierge, d'habitude courageusement au poste, endormi devant la télévision diffusant un match de base ball, n'était pas là. Il longea le réfectoire où d'abitude s'activait le personnel et qui était encore vide. Il continua de cheminer dans le couloir, passant devant des chambres. Il lui sembla percevoir de violentes toux sèches derrière les portes. Il entendait quelques bruits sourds contre les murs, puis des pauses de silence s'installaient. Axel monta l'escalier. Il s'arrêta soudain, surpris de découvrir sur les marches de fines traces de sang, déjà bordeau et coagulé. Il regarda autour de lui, pas rassuré, et se dépêcha de gravir les marches en haut. Il déboucha à toute vitesse sur le pallier du premier étage, lorsqu'il percuta un corps massif. Il ne put réprimer un bref cri.
"AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!!"
Ce n'était que Théo, son voisin d'en face, le cinquième Français. Théo était un grand gaillard jovial, facile à vivre, qu'Axel croisait somme toute rarement tant dans le dortoir que sur le campus. Vêtu d'un long bermuda et d'une chemise portée sur le dessus, il s'apprêtait à sortir.
"Ouh là, truc de ouf ! J'tai fait peur !
- Ah, la France ! Content d'te voir. Ca va ? T'as tué personne ces derniers temps ?
- Non, du moins pas avant ma dernière cigarette qui fait rire, héhéhé !!
- J'sais pas c'qui s'passe ici, mais on dirait que nos chers résidents se font tous porter absents.
- Ouais ? Moi, chais pas, j'fais jamais trop attention quand j'traverse le couloir." A ces mots, Axel eut un léger tressaillement au sourcil droit. Lui non plus, mais c'était rare, n'avait pas fait attention au couloir avant de découvrir les traces de sang, au couloir ? plutôt aux fenêtres du couloir.
"- Bon, Théo, j'te laisse. Tu rentres, ce soir ?
- J'vais juste acheter à manger, et je rentre. Pourquoi ?
- Pour rien. Allez, à plus !
- Ouais, ciao !" Axel s'était déjà éloigné de sa chambre pour se rapprocher d'une fenêtre du couloir... De chacune de ces fenêtres, on avait vu sur le Furûtsu.paradaizu. A peine eut-il regardé dehors qu'Axel eut un imperceptible recul. La paupière de son oeil gauche sursauta, secouée d'un nouveau tic.
STOP !
On arrête tout. Je vais parler de choses plus réjouissantes. Après tout, il est des portes qu'il vaut mieux ne pas ouvrir.
Il était une fois, un petit lapin aprivoisé qui était très attiré par le trèfle qui poussait chez le voisin. Un beau jour, ayant passé sous la barrière dont il avait préalablement grignotté la base, il découvrit...
Comment ça ? Le lecteur n'en a rien à faire ? Le lecteur veut du "Toda of the Dead" ? Le lecteur est bien inconscient. Le lecteur préfère-t-il le récit de scènes chocs, de lutte ultime pour la survie à l'histoire d'un jeune lapin aventureux et gourmand ? Mais qui lui dit que ce qu'il aurait vu derrière la palissade n'aurait pas fait dresser les cheveux sur la tête ?! Qui dit que le lapin en question n'en serait pas sorti traumatisé ? Qui dit que lui aussi n'aurait pas découvert l'essence de la peur ? Peut être aurait-il trouvé lui aussi son Furûtsu.paradaizu...
Afin d'épargner au lecteur trop d'agacement, expliquons en quelques mots en quoi consistait le Furûtsu.paradaizu.
Le Furûtsu.paradaizu (フルーツ・パラダイズ "Paradis des fruits" en japonais), comme son nom le suggérait, était une usine agro-alimentaire. Seulement, ni Axel, ni les autres n'y avaient jamais vu entrer (ni sortir) rien qui rappelât de près ou de loin le moindre petit fruit. Cette usine n'était séparée de la résidence que par une bande de terre d'un mètre environ, et une maigre clôture, qu'il aurait été facile d'escalader si l'on avait voulu. Mais de quelle usine parlons-nous ? Etait-il encore possible d'appeler cela une usine ? Quiconque n'a pas vu le Furûtsu.paradaizu ne peut imaginer qu'un tel concentré d'ignomine architecturale conjugué à une dégradation avancée et à une crasse extrême puis exister en dehors d'un mauvais film. C'étaient des murs fins et fissurés, des sorties d'aération dont partaient des trainées noirâtres, des cuves fendillées, un labyrinthe en trois dimensions de tuyaux graisseux, des escaliers d'une finesse extême, rouillés de la base au sommet, des fenêtres coulissantes donnant sur des salles d'expérimentations où s'affairaient à toute heure du jour ou de la nuit une ou deux personnes en combinaison intégrale, alors que le mur de la pièce en question était troué. Des lumières absolument invraisemblables, plutôt qu'elles n'éclairaient les pièces, les faisaient baigner dans un clair obscur des plus kitch. Le vert pomme le disputait à l'orange, comme dans un vaisseau spatial des années cinquante. Certains détails posaient à l'observateur d'insolubles énigmes : ainsi la présence d'une serviette de toilette sur un des tuyaux, inaccessible, ou encore le tapis de tasses blanches et de débrits de couvercles en plastiques dans un coin du jardin. Personne ne nettoyait jamais l'extérieur de la propriété (qui contrastait avec la résidence bien entretenue) : aussi pouvait on voir une sac poubelle rempli de détritus, sans doute jeté d'un étage de la résidence par un locataire farceur, se décomposer de jour en jour, sous une des cuves géantes dont le revêtement noir partait en grosses plaques aux quatre vents. La fumée ne sortait jamais des cheminées, mais des murs. Et le personnel s'activait exclusivement l'intérieur. Alors pourquoi une porte à double battants, de type hôpital, au rez de chaussée faisant face aux fenêtres du couloir de la résidence était-elle ouverte, certaines nuits, par les hommes en combinaison blanche, et qui ne laissait percevoir qu'un mur éclairé par une lumière verte ?
Chaque soir, le Furûtsu.paradaizu bruissait, mais les chambres d'Axel et de Pablo, situées de l'autre côté du couloir, n'en percevaient rien (la vue du bâtiment leur était épargnée par la même occasion). Il suffisait de traverser le couloir pour être rappelé à sa mystérieuse existence.
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Commentaires
La suite, la suite!!!!!!
La suite ce soir, si je ne meurs pas de ma toux, baignant dans mon sang.
Pour être franche, ça commence à m'angoisser. A sa place j'aurais fait demi-tour !...
Yeah !
Impatient !