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Emprise progressive (5)

"Euh non." La dame, qui se tenait penchée devant lui, enveloppée dans un imperméable beige, eut un regard légèrement déçu, puis tourna les talons et s'apprêtait à reprendre son chemin, lorsque Raphaël se reprit "En fait si, je me trompe, la place est libre, je vous en prie".
Il s'agissait d'une personne d'une quarantaine d'années, au visage non maquillé et encore un peu joli, mais guère plus, qui évoquait non pas la pauvreté, mais la gène. Ses mains blanches étaient sèches, sillonnées de micro coupures, et ses cheveux beige ondulés n'avaient plus aucun gonflant. Elle s'assit en esquissant un sourire qui parut à Raphaël à la fois vulgaire et rassurant. Sans la connaître, il fit immédiatement confiance à cette femme. Il n'eut donc aucun mal à engager la conversation. Après quelques banalités, il en vint au sujet que toutes les femmes aiment évoquer : "Vous avez des enfants ?
- J'ai une fille, un peu plus jeune que vous. Quel âge avez-vous ? 28 ? 29 ans ?
- 29 ans.
- Elle a 23 ans. C'est encore une enfant pour sa mère, je ne vous apprends rien : vous savez comme sont les mères." Ayant dit cela, elle fit une pause, et regarda de l'autre côté de l'allée, par la fenêtre, cherchant à cacher un trouble. Puis, se reprenant, elle poursuivit : "Elle est à l'université en communication. Elle aimerait travailler dans les relations publiques. Elle a bien le contact. Très vivante, très indépendante, vous voyez." Raphaël sentait qu'elle avait envie d'en dire plus, mais qu'elle se contenait, soit pudeur, soit pour éviter simplement d'importuner son interlocuteur. "Avez-vous des frères et soeurs ?" demanda-t-elle - elle avait gagné sur elle même et contenait son désir de parler de sa fille.
"- Non, je suis fils unique", répondit Raphaël en espérant que la conversation n'allait pas trop tourner autour de lui.
"- Je suis sûr que vous vous entendriez bien avec ma fille.
- Je n'en doute pas.
- Au fait, j'oubliais de vous demander : où descendez-vous ?" Raphaël sentit sa jugulaire se remplir sous une pression plus forte qu'à l'ordinaire. Que faire ? Sans doute la vérité ne porterait-elle ici pas à conséquence. Il décida de prendre le risque. "Je descends à Dijon", répondit-il avec un sourire qu'il se forca à rendre aussi naturel qu'insignifiant. "Et vous ?"
"- Oh, moi, juste un peu plus bas". Ce fut la fin de leur courte discussion. La période de silence qui suivit permit à la dame de fermer les yeux pour somnoler un temps assez long. Raphaël était à moitié rassuré. Pendant leur échange, malgré la douleur, il était parvenu à faire passer sa douleur au second plan. Une chose l'intriguait : pourquoi la dame n'avait-elle pas dit exactement où elle allait. peut-être cela n'avait-il aucune importance, pourtant elle venait de le lui demander. En obtenant de lui ce renseignement et ne lui rendant pas la pareille, elle le plaçait en position d'infériorité, obligeant à lui poser la question, montrant qu'il s'intéressait à son histoire. Sans doute n'attend-elle que ça, pensa-t-il. A y réfléchir, il trouvait bizarre cette femme qui prenait le train avec un vieil imperméable qui laissait dépasser une jupe défraichie, sans sac à main, et qui s'était mise à lui parler, à lui. Et pourtant, et POURTANT ! il ne pouvait se départir de ressentir, pour elle, une certaine forme de confiance, ce qui l'agaçait et en même temps lui faisait très légèrement plaisir, sans qu'il y comprît rien lui-même.
Au bout d'un temps indéterminé, le train finit par s'arrêter en gare de Dijon. Raphaël se tourna vers sa voisine. A ce moment, celle-ci lui jeta un regard désespéré. "Tenez, je suis folle d'agir ainsi, mais j'ai l'intuition que je ne vous ai pas rencontré par hasard. Voici mes coordonnées. Sauvez ma fille." Elle lui tendit un papier, et à peine l'eut-il pris qu'elle le poussait vers la porte sans que ses questions trouvassent réponse. Raphaël resta quelques secondes, immobile sur le quai que désertaient les voyageurs, profondément troublé. Le visage subitement suppliant de cette femme restait gravé dans son esprit.

Raphaël reprit ses esprits et, s'efforçant de conserver son sens froid, se dirigea d'un pas raide vers la sortie. De marcher le faisait terriblement souffir, mais il était hors de question de s'arrêter, surtout pas en public. Il fallait d'abord arriver à son escale avant toute chose. Il se souvenait des paroles de Marescould : "sans perdre une seconde". Il avait déjà failli être intercepté à sa sortie de l'immeuble, et qui sait ce que ces hommes lui auraient fait !
Il ne se souvenait plus très bien de la géographie de Dijon, aussi dut-il prendre quelques mauvaises rues, et il pesta au passage contre son sens de l'orientation déficient. Il dévisageait tout le monde autour de lui, mais l'ambiance de la ville lui semblait moins instable, moins proche de basculer. Il avait l'impression de pénétrer dans une zone de calme provisoire. Un asile temporaire. Sa sécurtité irait décroissante en fonction du temps qu'il y resterait, mais pour l'heure, il fallait rejoindre l'adresse et il pourrait ensuite se faire soigner.
Après une bonne heure passée à marcher, il finit par arriver devant l'immeuble qu'il recherchait, une imposante batisse de style Restauration, à la façade noire comme passée au charbon. A l'interphone, il sonna chez un certain Hector Vouillot, osthéopathe.
"Oui, allô ?", fit une voix d'homme pleine et assurée.
"- Ouiii, c'est moi, Raphaël.
- Vous avez rendez-vous ?
- Non, mais c'est moi, Raphaël !
- Oui, rappelez-moi votre nom de famille...
- Je suis ton cousin, Raphaël Larcet !
- Raphaël Larcet... Ah ! Mais oui ! Je t'ouvre, monte." Et le petit moteur automatique libéra la targette de la serrure. Raphaël poussa la porte, en jetant un rapide coup d'oeil de chaque côté de la rue, déserte, et entra, refermant précautioneusement derrière lui. Puis il gravit les hautes marches de pierre en s'agrippant à la rampe, dans un effort sportif. Essoufflé lorsqu'il atteignit le quatrième étage, il prit quelques secondes pour se remettre, puis sonna. Hector Vouillot vint lui ouvrir.
"Raphaël ? Ca fait un bail ! Je ne t'aurais jamais reconnu si je t'avais croisé dans la rue !
- Heheh, moi non plus !
- Mais qu'est-ce qui amène un Parisien comme toi dans une petite ville de province ?
- Je peux entrer ?
- Oui bien sûr, j't'en prie." Raphaël ne se le fit pas dire deux fois, et l'épaisse porte blindée se referma sur eux...

Lire le chapitre 6.

Commentaires

  • Moi j'aime pas les bains grecs.


    http://www.gel.tv/main.php

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