[Mes remerciements à MC-Croche 8 qui nous offre là un finale éblouissant.]
Il fallait que l’empire exercé sur lui par son jeune secrétaire fût bien grand pour qu’il ait accepté sans dégoût l’idée d’une excursion dans la montagne environnante. Raul n’avait jamais été particulièrement sportif et cependant, à sa propre stupéfaction, il s’était entendu acquiescer avec enthousiasme à la proposition de Pierre Etienne d’aller jusqu’aux abords du col de Ruhewald.
Tout de même… Depuis bientôt trois heures qu’ils marchaient sans trêve, Raul Bottello, sanglé dans son éternel costume de lin blanc avec aux pieds d’inconfortables mocassins vernis, commençait à trouver le temps long. Devant lui, cependant, la haute silhouette de Pierre Etienne Ancelin avançait souplement, sans efforts, à travers les saccades de l’étroit et caillouteux sentier qu’ils suivaient maintenant. L’ascension devenait franchement pénible et l’insolente facilité de son compagnon lui paraissait odieuse, ce d’autant plus qu’il ne pouvait parvenir à crier sa fatigue, entraîné comme « malgré lui » par le pas régulier et rapide de son jeune factotum.
De celui-ci, le regard brouillé par l'effort, il ne distinguait plus qu’un sac à dos ondulant, à l’extrémité duquel émergeait la pointe effilée de ce qui paraissait être une longue canne de jonc.
Tout à coup, soit qu’il eût dérapé sur une pierre trop lisse, soit que l’épuisement l’ait conduit hors du chemin, il se trouva brusquement précipité vers le vide et ne put s’agripper « in extremis » à une vieille souche que par un ultime réflexe de survie.
« Au secours ! Pierre Etienne, au secours ! »
Il hurlait de toutes se forces mais son compagnon, resté très calme, ne se précipita nullement vers lui…Tout au contraire, il entreprit, laissant Bottello complètement ahuri, de retirer avec des gestes solennels l’étui de ce que l’écrivain identifiait maintenant comme n’étant pas une canne mais un splendide sabre de combat… Il se livra ensuite à différents mouvements quasi « chorégraphiques », fendant l’air autour de lui avec une élégance et une précision diabolique tandis que Bottello continuait de hurler, moitié en portugais et moitié en français.
Puis, s’avançant enfin vers lui avec douceur :
« Ne soyez pas si agité… c’était inévitable, vous le savez bien…
- Mais je ne sais rien ! vous délirez ! », glapit Raul
"- Rappelez-vous les paroles de Maître Eusebio au terme du Pèlerin : celui qui a trouvé le sens du conte intime, celui là seul n’est plus le prisonnier de son destin… S’étant « réalisé » il peut donc disparaître, offert à l’éternel Amour… La lecture de vos derniers écrits me l’avait confirmé : vous aviez dépassé l’équilibre suprême ; j’avais mal de vous voir vous survivre aussi péniblement… Il fallait vous aider, presque contre vous-même à achever votre mission »
« Mais il est dingue, il est complètement dingue ! » songea Bottello dans un éclair panique, avant de poursuivre , véhément :
« Mais pauvre C…, c’était du bloff, tout ça, du bloff je vous dis ! » (car l’accent portugais lui revenait instinctivement en ces circonstances extrêmes).
« Du bloff » répéta pensivement Ancelin tandis qu Bottello, les yeux hors de la tête, continuait de hurler toutes langues mêlées… Puis soudainement illuminé : « vous voulez dire… du bluff ! » Et, après un silence, brusquement froid : « vous me faites beaucoup de peine… vraiment beaucoup de peine… » Retrouvant tout à coup le sourire, il ajouta, rayonnant : « mais suis-je bête ! ne nous avez-vous pas mis en garde contre les « rétro-démons du passé » ? Fernando Reis ne dit-il pas : protégez-moi contre moi-même si je faillis à ma mission ! ?… Soyez tranquille, vous n’aurez pas le temps de souffrir ! »
Il y eut comme un sifflement dans l’air, une lueur fulgurante à reflets d’acier, puis un bruit sourd quelques secondes plus tard avant que le silence ne recouvre à nouveau l’aride paysage.
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Soutenu par une femme d’un age déjà certain, quelque peu opulente et dont la chevelure luisait de reflets mauves, le vieil homme s’engouffra, non sans mal, dans la grosse « Rolls » noire qui l’attendait devant l’hôtel.
Une fois calé sur la profonde banquette de cuir brun, il ne put s’empêcher de suivre du regard un passant marchant à vive allure en direction de la gare. L’homme était jeune d’aspect, souple en ses mouvements, et n’avait pour seuls bagages qu’un modeste sac à dos sur lequel était fixé le fourreau d’une arme ancienne, d’origine asiatique selon toute vraisemblance. De sa main gauche, il tenait fermement un alpenstock de dimension modeste.
« Igor ? » s’inquiéta son imposante compagne.
Et, désignant du doigt l’homme qui s’éloignait, tandis que se ridait sa face d’un sourire silencieux, il murmura, les yeux brillants d’une lueur ironique : « Le sabrrre du grrimpant… »
FIN
Commentaires
Comment avez-vous osé mettre en ligne le lamentable pamphlet bizarement titré "le sabre du grimpant"?
Je suis profondément choqué du traitement réservé par l'auteur à son si sympathique personnage, raul Bottello...Il aurait fallu , en toute logique, que l'histoire se conclue à Stockholm, avec l'attribution du prix Nobel ! C'était, il me semble, la seule fin concevable.
Le soi-disant"croche 8", n'est qu'uncruel imposteur: je le maudis!!!!
Paulo C....