[Depuis le temps que je promets d’écrire une note sur l’université, eh bien, et ce n’est pas trop tôt, mon actualité personnelle m’en donne l’occasion. Aussi, voici.]
Tout le monde sait l’état préoccupant dans lequel se trouve l’institution scolaire, du primaire jusqu’au bac. Mais le supérieur, que l’on croyait jusque là épargné, ne l’est plus. Certes, les grandes écoles et les établissement supérieurs privés sont encore à part, encore préservés, du moins en ce qui concerne la sécurité. Pour ce qui est de la culture générale, je ne sais pas.
Je vais parler de ce que je connais, de ce que je vois, notamment depuis que je suis passé de l’autre côté de la ligne, c’est à dire depuis que je suis devenu enseignant.
Je vais d’abord partir d’un constat, puis j’essaierai de trouver des propositions et d’émettre des hypothèses.
I Un constat accablant
J’ai plusieurs fois eu l’occasion de remarquer le niveau effroyablement bas de mes étudiants, non pas en japonais (ils apprennent toujours la même chose que ce que ma promotion avait appris), et quand bien même ils feraient des erreurs en japonais, ce n’est pas grave, je suis là pour les aider à les corriger. Ils sont là pour ça. Non pas tant en japonais, dis-je, mais en français et dans tous les domaines de la culture générale, de l’éducation et même de la civilité.
Pour ce qui est du français, et bien que je ne me pose nullement en référence, est-il normal de ne pas savoir conjuguer un verbe ? d’en ignorer le sens alors qu'il s'agit d'un mot du vocabulaire courant (ex. : « déblatérer » utilisé dans le sens de « déballer, débiter » au lieu de « dire du mal » ; « en rabattre » pris dans le sens de « la ramener » au lieu de « se calmer et se tenir à carreau ») ; de ne pas savoir utiliser « lequel », « laquelle » – faute extrêmement répandue à la télévision parisienne ; de confondre « savoir » et « être » (« je saurai(s) » et « je serai(s) »), un futur avec un conditionnel, d’ignorer le subjonctif etc. ? Un vocabulaire extrêmement restreint et une contamination du langage sympato-grossier avec un soupçon de banlieue – l’« esprit-Canal » en somme – leur tient lieu de langue, et ils ne cherchent pas à aller plus loin.
Justement, ce qui est triste n’est pas seulement leur niveau, c’est aussi leur manque de curiosité, d’intérêt, pour tout ce qui n’est pas leur petit monde cloisonné. Ils ne lisent pas, dans leur grande majorité. Ca les "saoule", et ils n’aiment pas faire d’effort. D’ailleurs, qui leur en aurait donné le goût ? Leurs parents ? Non : ces derniers, qui prenaient il n’y a pas si longtemps leurs vacances en couple en laissant leurs enfants à des baby-sitters adolescentes qui fument, avaient l’idéologie du « laisser faire », du « ne pas contrarier l’enfant roi ». L’Ecole, du primaire au bac ? Non, grands dieux ! Dans les IUFM, on vous enseigne que « l’enfant est au centre du système éducatif », et non plus le Savoir, et qu’il faut apprendre à critiquer jusqu’à la déconstruire la Culture de ceux qui nous ont précédé, car ils sont tous de sales réactionnaires, des salauds d’esclavagisto-colonialistes et des bourgeois élitistes. Pour être « acceptable », il ne faut pas être raffiné, policé, en un mot civilisé. Cela peut passer si on est « homo », à la rigueur, en témoigne la transformation post mortem de l’hétéro Maurice RAVEL en homo plus « boboïquement correct ». Bref, si l’enfant veut taper sur un tambour au lieu d’apprendre ses tableaux de conjugaison, laissez-le faire ! Ca lui rendra infiniment service, n’en doutons pas, mes amis ! Que nos « sages » des IUFM doivent être contents de voir à quel point leurs doctes préceptes ont fonctionné.
Aujourd’hui, les jeunes ne respectent plus : ni le Savoir, qu’ils snobent, ni les valeurs (à part un droits-de-l’Hommisme distant qui commence le plus loin possible de chez eux), ni la Culture savante (la musique classique, c’est forcément pour les binoclards riches en gilet à carreaux, nœud pap’ et puceaux jusqu’à 40 ans, ou alors pour les tueurs en série américains), ni l’autorité, et là, comment le pourraient-ils, avec le travail de sape quotidien auquel se livre la plus putassière, mais gauchiste, des télévisions du monde : la nôtre. Au Japon, la télé est dix fois plus bête, mais elle apprend au moins à être discipliné. Chez nous, si tu n’es pas rebelle aux institutions, tu es suspect de Réaction, et de là, il n’y a qu’un pas jusqu’à l’accusation de fascisme. D’ailleurs, les émeutiers, d’où qu’ils viennent, seront toujours excusés, et les institutions salies. Les « Guignols de l’info » (et « Nulle part ailleurs » en général), en mettant le ricanement au service de la destruction de l’Etat, L. RUQUIER et son équipe, toujours prêts à salir les hommes politiques et les institutions (neuf fois sur dix de Droite), Thierry ARDISSON, M.O.F., les radio Skyrock et NRJ, fossoyeurs du bon goût, de l’intelligence, de l’objectivité, de la morale, de l’honnêteté et du patriotisme (oups ! excusez-moi, j’ai dit un gros mot), ont la plus grande responsabilité, n’en déplaise aux journalistes.
Lorsqu’on aura fini de saper toutes les autorités aux yeux des jeunes, sera-t-on masochistement assez content ? Ils finiront par tout détruire, édifices et œuvres d’Art (on laissera un jour taguer les toiles des musées, n’en doutons pas), et on finira bien à ce que les journalistes nostalgiques de 68 et une partie de la jeunesse déboussolée souhaitent : l’anarchie.
Soyons sincère. J’ai la chance de ne pas avoir eu de gros problèmes de discipline dans mes classes, mais je n’ai pu que constater le manque d’éducation de mes élèves. Par exemple, le « Bonjour Monsieur », le « Merci Monsieur », connaît pas : c’est « Bonjour », « merci », dans les bons jours ! Ils ne savent pas non plus que c’est à l’élève de saluer le premier. Ils ne savent pas accepter les propositions de lecture que leur font les enseignants : c’est toujours « non », car ça ne les intéresse pas (cf ce que j’ai dit plus haut à ce sujet), ni qu’il faut parfois garder ses réflexions narquoises pour soi.
Ils se croient tout permis, et tout leur est dû, parce que c’est ainsi que leurs parents et la télévision les ont « non-élevés ». Ce ne sont pas des adultes. Un adulte digne de ce nom assume ses actes, et ne pleurniche ni ne crie jusqu’à ce que le grand ait cédé. Leur « franc-parler » n’est que le reflet de leur indifférence à l’autre. La vanne permanente tient lieu de conversation.
Toutefois, je ne tape pas seulement sur ces jeunes, je les plains. Oui, comme le dit très bien Alain FINKIELKRAUT, ces jeunes sont sacrifiés, à coup de démagogie et de bien-pensance, alors qu’on devrait leur tendre la main, car bon nombre d’entre eux perçoivent plus ou moins, et de façon bien floue, que quelque chose ne va pas, d’où leur malaise et je ne serais pas étonné que nombreux parmi eux recherchent des limites fixées par de vrais adultes.
Ce sont les grands du passé qui ont déjà vu l’essentiel de l’Homme, qui nous proposent des bases pour nous situer dans l’espace et le temps, pour nous structurer en somme. Pour les jeunes d’aujourd’hui, même en licence, Victor HUGO n’est qu’une rue (commerçante), dans le meilleur des cas un écrivain d’un siècle indéterminé (la Renaissance ?). Alors les Grecs et les Romains, n’en parlons pas. Il leur est donc impossible de situer une pensée dans son contexte, de comprendre des apports étrangers (comment parler de la littérature japonaise de Meiji sans notions des littératures européennes de la même époque (l'Europe qui exerça une influence importante sur les plus grands) ? Les informations se lient les unes aux autres et font sens. Sans elles, plus de sens. De même que sans les bases historiques de notre morale, plus de morale aujourd’hui. (Je reviendrai sur ce point dans une prochaine note consacrée aux religions).
A suivre…