J'aurais aimé y assister plus tôt. J'aurais aimé vous permettre d'y aller aussi et d'en profiter, malheureursement, je m'y suis rendu pour la dernière, le 17 février. Je vous parle aujourd'hui d'un petit bijou de modestie et de joie de vivre extrêmement réussi, d'un objet scénique non identifié (OSNI), du chef d'oeuvre du petit-maîtrisme, le jouissif, l'inconnu, le burlesque, le grotesque, le beau.... "Ragonde ou la soirée de village". Qu'est cela ?, dîtes-vous. Il s'agit d'un spectacle musical (1742) d'un certain Jean-Joseph MOURET, compositeur provençal, sur un livret de Néricault DESTOUCHES. Ces braves gens étaient les "artistes à demeure" de la dûchesse du Maine à Sceaux. Dans le judicieux livret distribué avant la représentation, Serge SAÏTTA, le chef d'orchestre, s'interroge sur le genre de cette oeuvre : opéra (drôle), opéra comique, opérette, comédie musicale ? S'il opte pour la dernière appellation, on peut toutefois considérer qu'elle est un peu de tout cela. Une musique aux normes de l'époque, avec des "airs" facilement reconnaissables et chantables, une orchestration enlevée (avec un usage assez fréquent des percussions) et quelques solos étonnamment rafinés.
Peut-être serait-il judicieux de vous en présenter le scénario : l'histoire se situe dans le milieu de la bourgoisie (galante, voire libertine (?)) d'un village poitevin. Colin, un jeune homme naïf (présenté dans la mise enscène, non sans raison, comme un peu cucul), aime Colette qui en fait, aime Lucas (qui l'aime, mais aussi et surtout, veut la posséder). Le problème est que Ragonde, la vieille mère lubrique de Colette, a jeté son dévolu sur Colin, et compte bien le soustraire à sa fille. Elle conclut donc un pacte avec Lucas : elle lui donnera sa fille, s'il l'aide à conquérir Colin (tous les moyens seront bons). C'est par la peur et la menace qu'il le convaincront d'épouser la veuve, en se déguisant en lutins au service de celle qu'ils font passer pour une puissante sorcière. Colin cèdera et les noces auront lieu, se terminant par un charivari proche du chaos.
Le lecteur peu au fait dui contexte de l'époque pourra prendre cette histoire, voire l'oeuvre toute entière, comme une joyeuseté insipide, voire ringarde. Or, selon moi, il n'en est rien. Cette oeuvre, outre qu'elle marque une date dans l'Histoire de la musique - c'est en effet selon Serge SAÏTTA la première comédie musicale - malgré sa simplicité assumée, se situe dans le cadre de la Querelle des Anciens et des Modernes qui deviendra quelques années plus tard : "Querelle des Bouffons". Notons pour mémoire que si le hasard n'avait pas fait rencontrer à VOLTAIRE des Modernes qui devinrent ses amis (et là, le milieu dit du "Temple" mériterait à lui-seul une note), il aurait probablement rejoint les Anciens (dont il était plus proche de la sensibilité - son théâtre en témoigne, d'ailleurs), et il ne serait peut-être pas devenu ce qu'il fut.
Avec Ragonde, que notons nous ? Le sujet profane, voire limite vulgaire, remplace les sujets mythologiques et héroïco-tragiques. Le Poitou (dont le livret nous livre une ou deux tournures idiomatiques) a distancé les Champs Elysées (pas ceux de Paris, ceux de Grêce) ou le Mont Olympe. Le héros vertueux n'est pas vainqueur, c'est le rival pragmatique et machiavélique (splendide Guillaume NADRIEUX). Les motivations de la veuve ne s'entourent d'auscun prétexte : c'est le désir brut, le besoin de possession, une tentative de rattraper le temps, voire de dévorer la jeunesse du partenaire (qui dans la mise en scène devra accomplir (hors champ) le devoir conjugal.
Deux mots sur la mise en scène et l'aspect visuel. Ce qui plaît au premier abord, ce sont les costumes d'époque (à peine modifiés) tous dans une tonazlité de blancs, blanc lumineux, blan cassé, blan écru etc. Ensuite, c'est la jeunesse des chanteurs (sauf Ragonde) et de la danseuse, une très gracieuse jeune femme filiforme qui ressemble à une sylphide (enfin, telle qu'on peu se la représenter d'après les gravures) et la polyvalence d'une des chanteuses, qui s'avère aussi habile joueuse de flûte à bec. Après, j'ai été déçu par la (piètre) technique vocale de Guillaume MICHEL (Colin), mais heureusement, il joue bien. Le rôle féminin de Ragonde était joué par un homme (Dominique BONNETAIN), comme il était d'usage dans ce genre de rôle comique, au théâtre, même si dans l'histoire, Ragonde est une vraie femme. La scénographie, simple, était bien conçue, avec des voiles blancs qui figuraient parfois des rideaux, parfois des troncs d'arbres. Le jeu des lumières contribuait au changement d'ambiances. Enfin, l'accoustique assez bonne donnait au son un cachet intime, capiteux (!), particulièrement jouissif lors des passages instrumentaux calmes (d'une surprenante modernité).
Pour conclure, ce qui fait la réussite complète de ce spectacle, c'est autant la qualité musicale de l'interprétation, les costumes, la mise en scène, les chanteurs, la danseuse, que tout le fait d'assumer la simplicité d'une oeuvre mineure, mais traitée avec sérieux, professionnalisme, plaisir (communicatif), tout simplement. Le public ne s'y est pas trompé (toutes les générations étaient présentes) : la salle comble a réservé un triomphe (mérité) au meilleur (à mon avis) spectacle de l'année. Dommage que vous ayez manqué cela.
Ragonde ou la soirée de village, salle Gérard Philippe de l'Ecole de musique de Villeurbanne, 46 cours de la République
Musique : Jean-Joseph MOURET
Sur un livret de : Philippe Néricault DESTOUCHES
Direction musicale : Serge SAÏTTA
Mise en scène : Pierre KUENTZ
Travail corporel : Maryann PERRONNE
Costumes : David MESSINGER (avec les petites mains de l'ENSATT !!)
Avec : Anne-Cécile WATTS-PELEGRIN (danse), Dominique BONNETAIN (Ragonde), Guillaume MICHEL (Colin), Guillaume ANDRIEUX (Lucas), Camille D'HARTOY (Colette), Mathilde MONFRAY (paysanne), Hélène TISSERAND (Mathurine), Clément BUONOMO (Thibault), Emilie ANDRE (choeur), Sophie MAKSOUDIAN (choeur), Rodrigue DIAZ (choeur), Xavier BOURDEAU (Blaise)
et un orchestre formidable, incluant notamment AOKI Naoko (1er violon), Etienne GALLETIER (théorbe)