Pablo franchit le seuil de la résidence. Personne dans la loge du gardien. Il ôta ses chaussures et passa à son casier prendre ses claquettes en plastique et, comme souvent, oublia de retourner la plaquette qui indiquait sa présence (ou son absence) dans le bâtiment. Il fit quelques pas, longea le réfectoire et, alors qu'il arrivait au niveau des douches, la porte s'ouvrit lentement et un personnage nu comme un vert en sortit. C'était celui qu'ils appelaient "le Huileux", un garçon filiforme aux longs cheveux gras, aux vêtements tachés, qui mangeait toujours la bouche pleine, très lentement, l'air absent. Il ne parlait à personne, et aimait à entrer dans le bain sans avoir pris de douche préalable, ce qui était absolument interdit. Certains résidents plus propres que lui en firent les frais, en ressortant dudit bain avec une infection très mal placée...
Bref, le Huileux était là, devant Pablo, les joues pleines, et du sang lui coulait de la bouche, le long du coup traversé de grosses veines foncées. Ses yeux avaient perdu toute couleur, et il respirait bruyamment, sans doute avec difficulté. Il continua de mastiquer son étrange repas tout en fixant son voisin. Pablo, déjà passablement indisposé à la vue du corps nu de ce personnage qu'il n'appréciait guère, eut un haut le coeur lorsqu'il découvrit que l'autre tenait convulsivement à la main un morceau de boyau dégoulinant de sang.
Axel n'a pas menti, pensa-t-il. Satan, Prince de ce monde, est en train de passer à l'attaque. Je le savais. Si je suis encore en vie, c'est que... Il n'eut pas le temps de se dire autre chose que le Huileux se jeta sur lui, sans lacher les trippes. Il voulait le mordre, mais plus il ouvrait la bouche, et plus des morceaux de vicères déjà mâchés en sortaient et l'obstruaient. Pablo, qui se souvenait de ses rudiments de boxe française, lui asséna un violent coup de poing dans le ventre. Le zombie se plia en deux, mais revint à la charge, l'air énervé, et il lacha son déjeuner au passage ; ses mains aux ongles longs et noirs menaçaient Pablo. "Tu en veux encore ?", s'exclama Pablo en français. Et alors que le zombie s'apprêtait à se saisir du bras du Français, celui-ci reprit sa garde et lui envoya un salvateur direct du gauche en plein milieu du nez. Le mort-vivant s'écroula, assommé. "Je t'ai jamais aimé", lui lança-t-il en japonais, ajoutant au passage en français : "T'avais pas la classe". Puis il prit ses jambes à son coup et courut jusqu'à sa chambre, montant les marches deux à deux. Il eut juste le temps de voir un autre zombie japonais qui se dirigeait vers lui, mais déjà il s'engouffrait dans sa chambre qu'il verrouilla. Adossé à la porte, il attendit quelques instants que son coeur ralentit, puis il s'assit par terre et tenta de réfléchir. A la fois rempli d'une peur froide qui le raidissait, et d'une certaine joie à l'idée qu'il n'avait pas cru en vain, il resta quelques instants ainsi, l'esprit en ébullition.
Au même moment, dans la chambre de Guillaume, ce dernier et Axel entendaient taper contre le mur mitoyen avec la chambre de Fabien. "Ah ! Il se réveille", fit Guillaume, l'air faussement sérieux. Puis le bruit cessa. Pendant une bonne dixaine de secondes, le silence régna dans la pièce, n'était la respiration d'Axel qui avait le nez bouché. Malgré le fait que Guillaume avait prouvé son audace et fait montre de sa force, Axel n'était pas pour autant rassuré, loin de là. Allez savoir ce qu'il nous prépare, pensa-t-il. A cet instant, un double bruit se fit entendre, et les deux Français sursautèrent. Le téléphone de Guillaume venait de sonner, et au même moment, on tapait contre la baie vitrée. Les rideaux voilaient le balcon. "Laisse les rideaux tirés, lança Axel." Guillaume ne répondit pas et se jeta sur le combiné. "Allô ? ", fit-il de sa voix habituelle, petite et prudente. "C'est Pablo ! " dit-il en jetant un coup d'oeil à Axel. "OK, on t'attend. Fais attention et dépèche-toi." Il raccrocha. "J'en profite pour appeler Théo", et il composa le numéro de celui-ci. Aucune réponse.
"Il est allé faire des courses.
- Espérons qu'il ne servira pas de dîner en chemin", dit Guillaume avec le sourire.
A ce moment, on frappa à la porte. Axel s'approcha : "Qui est là ?...
- C'est moi, ouvre, dépèche", fit la voix de Pablo, plus excitée qu'à l'accoutumée.
Commentaires
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