Avant de ranger le livre (devenu rare), voici une notule pour vous présenter quelques oeuvres qui méritent, m'a-t-il semblé, d'être lues.
Parmi les histoires qui composent ce volume d'anthologies de contes fantastiques de BALZAC, je retiens tout particulièrement "L'élixir de longue vie", avec son final gore qui évoque un Evil Dead ; les "Aventures administratives d'une idée heureuse" et "Les martyres ignorés" .
"L'élixir" est une variation baroque, grotesque et hardie sur le thème de Don Juan dont je recommande la lecture.
Les "Aventures" et "Les martyres" retiendront un peu plus mon attention.
Dans cette oeuvre comme dans la seconde, il est question, sous une forme très "romanesque", d'âmes que l'on vole, d'idées qui se font hommes et de mots qui tuent. Ainsi par exemple cette historiette :
"Un jeune Hanovrien, venu momentanément à Londres, se plaignit à plusieurs reprises d'un vol assez bizarre. Un monsieur lui avait pris, disait-il, sa cervelle, ses idées, et les détenait dans un bocal. A Paris, personne ne se serait étonné de ces vols ; on y prend sans façon les idées des gens qui ont des idées ; seule ment, on ne les met pas en bocal, on les met en journal, en livre, en entreprises. A Londres, les gens du monde agirent comme agissent ceux de Paris ; ils se moquèrent de mon pauvre Hanovrien, mais sérieusement, à la manière anglaise. Ce jeune homme restait par suite de ce brigandage dans un état d'imbécillité, de paresse, d'ennui, de spleen qui donnait beaucoup d'inquiétudes à ses amis. Alors, il fut fait droit à ses plaintes. On le mit à l'hospice de Bedlam. Il y resta près de deux mois. Un jour, l'un des médecins les plus célèbres de Londres racontait à l'un des médecins de Bedlam qu'il venait de voir le matin l'un de leurs confrères, à moitié fou probablement, qui se livrait à des opérations chimiques sur quelques masses d'idées prises à différents individus et contenues dans des bocaux très bien étiquetés."
"Les martyres ignorés" présentent, sous forme d'une conversation d'intellectuels européens (des Français, un Allemand, un Russe et un Irlandais), des anecdotes sur le thème des mots (ou des idées) qui tuent. Ainsi par exemple l'histoire des ces collégiens irlandais qui, pour se venger d'un surveillant général particulièrement infect, le piègent dans une salle et lui font un faux procès, déguisés en juges et en bourreau. L'homme se laisse faire et condamner à mort sans rien dire. Il se laisse attacher sans résistance et poser sur le billot. Au moment ou le faux bourreau fait semblant d'abattre son hachoir jouet sur sa nuque, l'homme décède d'émotion.
Ou encore l'histoire de cet homme viveur qui, pour taquiner sa femme dévote, lui fait croire qu'il va l'assiner parce qu'elle l'a trompé (ce qui ne gêne nullement notre homme qui ne l'avait épousée que pour les convenances). Il lui donne un verre de vin vieux, laissant entendre que s'y trouve du poison. La femme boit, ils se quittent. Le lendemain, on fait prévenir le mari que sa femme est subitement décédée. Elle s'était convaincue qu'elle avait été empoisonnée, et son corps l'avait crue.
L'autosuggestion, les crises cardiaques suite à un choc psychologique, voilà desphénomènes à cheval sur plusieurs domaines : médecine, psychologie, mais aussi spiritualité. En effet, la mort de sa femme poussa le libertin au remords, qui se convertit à la religion, et entra dans les ordres.
Orgueil, vengeance, égoïsme, remords, rédemption, âme, fluides, récits, tels sont quelques uns des mots clés qui me viennent à l'esprit lorsque j'évoque ces deux oeuvres, à la fois noires comme le Romantisme, et pleines d'un humour discret qui n'est jamais forcé.
BALZAC, Honoré de : Contes fantastiques, Marabout, Vervier, 1971.