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Pablo entrouvrit la porte. Personne dans le couloir. Lui et Axel en profitèrent pour se ruer dans leurs chambres respectives afin, comme convenu, d'y préparer leurs affaires.
Son sac à dos rempli en hâte à en faire crisser les coutures, ayant revêtu un blouson, une casquette et des gants afin de laisser le moins d’affaires sur place, d’une part, et de laisser le moins de chair à découvert, d’autre part, Axel inspira, d’un long souffle tremblant, et ouvrit très précautionneusement la porte de sa chambre. Il savait qu’il y en avait derrière la porte, car il entendait déjà leur souffle, mais il était obligé de sortir, le balcon collectif commençant à résonner des cris des résidents en lutte contre leurs voisins infectés. A cet instant, un bras recouvert d’hématomes s’engouffra frénétiquement, la main hystérique, se refermant et s’ouvrant à la manière d’une pince à sucre d’autrefois maniée par un épileptique, accompagné d’un vagissement douloureux lancé par une haleine pestilentielle. Axel plus rapide que son premier opposant, et singulièrement inspiré, tant il est vrai que l’instinct de survie peut donner de violent à-propos, alors qu’il bloquait la porte de avec son pied et pesait dessus de tout son poids, saisit de la main droite le poignet de son assaillant et, d’un rapide et puissant coup de coude gauche lui cassa l’avant bras. L’infecté, dans un mugissement, retira son bras et se plia en deux de douleur. Derrière lui, un autre, le voisin du dessous (un brave gars en temps normal), l’attendait, les yeux rouges, du sang lui sortant déjà des oreilles. Axel, sans cesser d’avancer, sortit de sa poche le couteau de cuisine bon marché dont il se contentait depuis un an, et, sans plus hésiter, lui sectionna les deux carotides et faisant un pas de côté qui lui évita de se faire asperger d’un sang marron putride qui partit avec la pression d’une explosion et vint asperger l’autre personnage qui, surpris, se redressa, et resta interdit quelques secondes. Axel continua, ruisselant de sueur sous ses chauds vêtements, mais surtout de peur et comme un loup aux abois. « Pablo, Théo, c’est le moment ! ». A cet instant, les deux portes s’ouvrirent presqu’en même temps, et ses voisins français apparurent, eux aussi chargés de quelques affaires.
« J’vois qu’tu nous as pas attendus pour t’amuser, dit Théo, qui semblait peu troublé par ce qui se passait.
– Content que t’aies pu rentrer et prendre tes affaires. Maintenant, va falloir sortir.
– Ca va pas être facile, s’exclama Pablo : regardez, y’en a plein qui rappliquent en face.
– Alors vous savez ce qui nous reste à faire ? , fit Axel.
– T’accorder les pleins pouvoirs ?, ajouta Pablo.
– Tu fais comme tu veux, mais moi, j’ai pas l’intention de me laisser coiffer au poteau », ajouta Axel qui, d’un coup de pied, enfonça une des fenêtres du couloir qui donnaient sur le Furupara, et qui partit avec une partie de son cadre.
« J’te suis, ça l’fait », dit Théo.
Axel sauta par la fenêtre et atterrit dans un grand fracas sur le dessus bombé d’une des cuves extérieures de la propriété. Sans tergiverser, Théo l’imita mais eut la chance, lui, d’être réceptionné par Axel. Malgré ses contusions, Axel ne traîna pas et descendit de la cuve par l’étroite échelle rouillée qui y tenait faiblement attachée. Il se félicita d’avoir pensé à mettre des gants, surtout lorsqu’il jeta un rapide coup d’œil aux mains de Théo, rougies par les anfractuosités blessantes de l’échelle. Au moment où Théo toucha terre retentit une série de coups de feu. C’était la police qui intervenait de l’autre côté du bâtiment. Tout espoir n’était donc pas perdu, à moins qu’il en fut tout au contraire !, pensa Axel.
Pablo ne venait pas, il devait avoir décidé d’expérimenter une autre voie. Celle, directe, des escaliers. « Si ça s’trouve, y s’est fait bouffer », s’exclama Théo, goguenard.
Il fallait être un peu fou, ou témoigner d’une inconscience d’imbécile ou d’une clairvoyance de visionnaire pour fuir ainsi du côté du « nid » d’où tout était parti. Mais parfois, trop de tergiversation nuit, et tant qu’à faire, autant sortir le plus tôt possible de la résidence. « Tu vas rire, fit Axel »
– Non, me dis pas qu’y a pas d’issue vers l’extérieur.
– Ben si.
– Ah ! Hahaha ! Trop bonne ! », s’exclama ironiquement Théo.
« – Il va nous falloir passer par l’intérieur et tenter de rejoindre l’entrée.
– Bon, j’crois qu’on est mort, là. »
Axel, son couteau ruisselant en main, se dirigea vers la porte du bâtiment principal qui donnait sur ce qu’ils appelaient le jardin. « Là, normalement, c’est fermé », dit Axel. Effectivement, la porte en fer sale à la peinture écaillée ne bougea pas d’un centimètre.
« On fait quoi, là ?, demanda Théo. On remonte sur la cuve et on téléphone à la police ?
– Si tu veux, mais elle est déjà là, la police, on l’entend, et je doute qu’elle s’en sorte si bien et encore moins qu’elle se pointe en hélicoptère pour nous porter secours ». Axel regarda autour de lui et fit quelques pas. Son silence fit ressortir les hurlements lointains des habitants de la résidence qui s’époumonaient de l’autre côté du bâtiment, sur le balcon qui devait à présent être plein de sang, et les coups de feu qui retentissaient dans la rue, non loin d’eux. Au bout d’une minute qui sembla à Théo avoir duré plus que cela, Axel s’éloigna vers un bâtiment qui devait servir de remise et devant lequel étaient posés pêle-mêle des morceaux de meubles et des matériaux de construction, moellons, planches et autres barres de fer qui n’avaient pas été ramassés. Axel ramassa un parpaing et, le tendant à Théo : « Tiens, toi qui es plus grand et sûrement plus fort que moi, balance ça dans la serrure. Ca ne peut pas lui faire du bien.
– Ouaip ! » Théo se saisit de l’objet et le lança aussi fort qu’il put sur la poignée en aluminium qui vola à un mètre de hauteur et retomba en rebondissant sur le sol. Il ne fut pas difficile ensuite d’ouvrir la porte, dans un grincement prévisible. Axel était glacé, ce que la sueur ne faisait qu’amplifier. De plus, le bâtiment était fortement climatisé, c’est presque un lieu commun que de le dire, s’agissant du Japon, le pays le plus climatisé du monde, où l’on se permet le luxe d’avoir froid toute l’année à grand coup de factures d’électricité, les raffinements de la technologie réfrigérante relayant les frimas d’un hiver ne rencontrant guère de chauffage digne de ce nom pour lui résister.
Une faible veilleuse rouge faisait la distinction entre la lumière du jour extérieur et la pénombre intérieure. Les deux jeunes pénétrèrent dans le Furupara. Ce qu’ils allaient y découvrir était au delà de leurs craintes.
[La suite et fin de "Toda of the Dead" est disponible en livre papier et livre électronique ici.]