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Mes textes littéraires 作品 - Page 7

  • Emprise progressive (5)

    "Euh non." La dame, qui se tenait penchée devant lui, enveloppée dans un imperméable beige, eut un regard légèrement déçu, puis tourna les talons et s'apprêtait à reprendre son chemin, lorsque Raphaël se reprit "En fait si, je me trompe, la place est libre, je vous en prie".
    Il s'agissait d'une personne d'une quarantaine d'années, au visage non maquillé et encore un peu joli, mais guère plus, qui évoquait non pas la pauvreté, mais la gène. Ses mains blanches étaient sèches, sillonnées de micro coupures, et ses cheveux beige ondulés n'avaient plus aucun gonflant. Elle s'assit en esquissant un sourire qui parut à Raphaël à la fois vulgaire et rassurant. Sans la connaître, il fit immédiatement confiance à cette femme. Il n'eut donc aucun mal à engager la conversation. Après quelques banalités, il en vint au sujet que toutes les femmes aiment évoquer : "Vous avez des enfants ?
    - J'ai une fille, un peu plus jeune que vous. Quel âge avez-vous ? 28 ? 29 ans ?
    - 29 ans.
    - Elle a 23 ans. C'est encore une enfant pour sa mère, je ne vous apprends rien : vous savez comme sont les mères." Ayant dit cela, elle fit une pause, et regarda de l'autre côté de l'allée, par la fenêtre, cherchant à cacher un trouble. Puis, se reprenant, elle poursuivit : "Elle est à l'université en communication. Elle aimerait travailler dans les relations publiques. Elle a bien le contact. Très vivante, très indépendante, vous voyez." Raphaël sentait qu'elle avait envie d'en dire plus, mais qu'elle se contenait, soit pudeur, soit pour éviter simplement d'importuner son interlocuteur. "Avez-vous des frères et soeurs ?" demanda-t-elle - elle avait gagné sur elle même et contenait son désir de parler de sa fille.
    "- Non, je suis fils unique", répondit Raphaël en espérant que la conversation n'allait pas trop tourner autour de lui.
    "- Je suis sûr que vous vous entendriez bien avec ma fille.
    - Je n'en doute pas.
    - Au fait, j'oubliais de vous demander : où descendez-vous ?" Raphaël sentit sa jugulaire se remplir sous une pression plus forte qu'à l'ordinaire. Que faire ? Sans doute la vérité ne porterait-elle ici pas à conséquence. Il décida de prendre le risque. "Je descends à Dijon", répondit-il avec un sourire qu'il se forca à rendre aussi naturel qu'insignifiant. "Et vous ?"
    "- Oh, moi, juste un peu plus bas". Ce fut la fin de leur courte discussion. La période de silence qui suivit permit à la dame de fermer les yeux pour somnoler un temps assez long. Raphaël était à moitié rassuré. Pendant leur échange, malgré la douleur, il était parvenu à faire passer sa douleur au second plan. Une chose l'intriguait : pourquoi la dame n'avait-elle pas dit exactement où elle allait. peut-être cela n'avait-il aucune importance, pourtant elle venait de le lui demander. En obtenant de lui ce renseignement et ne lui rendant pas la pareille, elle le plaçait en position d'infériorité, obligeant à lui poser la question, montrant qu'il s'intéressait à son histoire. Sans doute n'attend-elle que ça, pensa-t-il. A y réfléchir, il trouvait bizarre cette femme qui prenait le train avec un vieil imperméable qui laissait dépasser une jupe défraichie, sans sac à main, et qui s'était mise à lui parler, à lui. Et pourtant, et POURTANT ! il ne pouvait se départir de ressentir, pour elle, une certaine forme de confiance, ce qui l'agaçait et en même temps lui faisait très légèrement plaisir, sans qu'il y comprît rien lui-même.
    Au bout d'un temps indéterminé, le train finit par s'arrêter en gare de Dijon. Raphaël se tourna vers sa voisine. A ce moment, celle-ci lui jeta un regard désespéré. "Tenez, je suis folle d'agir ainsi, mais j'ai l'intuition que je ne vous ai pas rencontré par hasard. Voici mes coordonnées. Sauvez ma fille." Elle lui tendit un papier, et à peine l'eut-il pris qu'elle le poussait vers la porte sans que ses questions trouvassent réponse. Raphaël resta quelques secondes, immobile sur le quai que désertaient les voyageurs, profondément troublé. Le visage subitement suppliant de cette femme restait gravé dans son esprit.

    Raphaël reprit ses esprits et, s'efforçant de conserver son sens froid, se dirigea d'un pas raide vers la sortie. De marcher le faisait terriblement souffir, mais il était hors de question de s'arrêter, surtout pas en public. Il fallait d'abord arriver à son escale avant toute chose. Il se souvenait des paroles de Marescould : "sans perdre une seconde". Il avait déjà failli être intercepté à sa sortie de l'immeuble, et qui sait ce que ces hommes lui auraient fait !
    Il ne se souvenait plus très bien de la géographie de Dijon, aussi dut-il prendre quelques mauvaises rues, et il pesta au passage contre son sens de l'orientation déficient. Il dévisageait tout le monde autour de lui, mais l'ambiance de la ville lui semblait moins instable, moins proche de basculer. Il avait l'impression de pénétrer dans une zone de calme provisoire. Un asile temporaire. Sa sécurtité irait décroissante en fonction du temps qu'il y resterait, mais pour l'heure, il fallait rejoindre l'adresse et il pourrait ensuite se faire soigner.
    Après une bonne heure passée à marcher, il finit par arriver devant l'immeuble qu'il recherchait, une imposante batisse de style Restauration, à la façade noire comme passée au charbon. A l'interphone, il sonna chez un certain Hector Vouillot, osthéopathe.
    "Oui, allô ?", fit une voix d'homme pleine et assurée.
    "- Ouiii, c'est moi, Raphaël.
    - Vous avez rendez-vous ?
    - Non, mais c'est moi, Raphaël !
    - Oui, rappelez-moi votre nom de famille...
    - Je suis ton cousin, Raphaël Larcet !
    - Raphaël Larcet... Ah ! Mais oui ! Je t'ouvre, monte." Et le petit moteur automatique libéra la targette de la serrure. Raphaël poussa la porte, en jetant un rapide coup d'oeil de chaque côté de la rue, déserte, et entra, refermant précautioneusement derrière lui. Puis il gravit les hautes marches de pierre en s'agrippant à la rampe, dans un effort sportif. Essoufflé lorsqu'il atteignit le quatrième étage, il prit quelques secondes pour se remettre, puis sonna. Hector Vouillot vint lui ouvrir.
    "Raphaël ? Ca fait un bail ! Je ne t'aurais jamais reconnu si je t'avais croisé dans la rue !
    - Heheh, moi non plus !
    - Mais qu'est-ce qui amène un Parisien comme toi dans une petite ville de province ?
    - Je peux entrer ?
    - Oui bien sûr, j't'en prie." Raphaël ne se le fit pas dire deux fois, et l'épaisse porte blindée se referma sur eux...

    Lire le chapitre 6.

  • Toda of the Dead (3)

    A la fin des cours, Axel retomba sur Guillaume.
    "Tiens ! Guillaume. Tu as vu Pablo ?
    - Il a filé après le cours. Il a dû aller à son club. Bon ! Moi, je rentre. Qu'est-ce que tu fais ?
    - Je dois passer à mon bureau avant. Je ne sais pas pour combien de temps j'en aurai. Vas-y, ne m'attends pas.
    - OK, à tout à l'heure. Ne bosse pas trop.
    - A ce soir."

    Une heure plus tard, Axel sortait de la gare de Toda. Il se dirigea vers la résidence. Sur son chemin, il croisa peu de monde. La ville semblait plongée dans la torpeur et le silence, un silence de mort. Il passa devant le garage où un pauvre chien était toujours attaché par une courte corde sept jour sur sept, sans rien à faire. Mais cette fois, l'animal gisait inanimé sur le sol, l'oeil révulsé, les pates écartées, la gueule ouverte d'où pendait une langue violacée. Un forte odeur nauséabonde envahissait l'air. Axel se boucha le nez et hâta le pas. La pauvre bête, pensa-t-il, est enfin libérée d'une vie d'esclave, perpétuellement enchaînée.

    Arrivé à la résidence, il ne croisa personne. Le concierge, d'habitude courageusement au poste, endormi devant la télévision diffusant un match de base ball, n'était pas là. Il longea le réfectoire où d'abitude s'activait le personnel et qui était encore vide. Il continua de cheminer dans le couloir, passant devant des chambres. Il lui sembla percevoir de violentes toux sèches derrière les portes. Il entendait quelques bruits sourds contre les murs, puis des pauses de silence s'installaient. medium_pict0108_nb_web.jpg Axel monta l'escalier. Il s'arrêta soudain, surpris de découvrir sur les marches de fines traces de sang, déjà bordeau et coagulé. Il regarda autour de lui, pas rassuré, et se dépêcha de gravir les marches en haut. Il déboucha à toute vitesse sur le pallier du premier étage, lorsqu'il percuta un corps massif. Il ne put réprimer un bref cri.
    "AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!!"

    Ce n'était que Théo, son voisin d'en face, le cinquième Français. Théo était un grand gaillard jovial, facile à vivre, qu'Axel croisait somme toute rarement tant dans le dortoir que sur le campus. Vêtu d'un long bermuda et d'une chemise portée sur le dessus, il s'apprêtait à sortir.
    "Ouh là, truc de ouf ! J'tai fait peur !
    - Ah, la France ! Content d'te voir. Ca va ? T'as tué personne ces derniers temps ?
    - Non, du moins pas avant ma dernière cigarette qui fait rire, héhéhé !!
    - J'sais pas c'qui s'passe ici, mais on dirait que nos chers résidents se font tous porter absents.
    - Ouais ? Moi, chais pas, j'fais jamais trop attention quand j'traverse le couloir." A ces mots, Axel eut un léger tressaillement au sourcil droit. Lui non plus, mais c'était rare, n'avait pas fait attention au couloir avant de découvrir les traces de sang, au couloir ? plutôt aux fenêtres du couloir.
    "- Bon, Théo, j'te laisse. Tu rentres, ce soir ?
    - J'vais juste acheter à manger, et je rentre. Pourquoi ?
    - Pour rien. Allez, à plus !
    - Ouais, ciao !" Axel s'était déjà éloigné de sa chambre pour se rapprocher d'une fenêtre du couloir... De chacune de ces fenêtres, on avait vu sur le Furûtsu.paradaizu. A peine eut-il regardé dehors qu'Axel eut un imperceptible recul. La paupière de son oeil gauche sursauta, secouée d'un nouveau tic.

    STOP !

    On arrête tout. Je vais parler de choses plus réjouissantes. Après tout, il est des portes qu'il vaut mieux ne pas ouvrir.
    Il était une fois, un petit lapin aprivoisé qui était très attiré par le trèfle qui poussait chez le voisin. Un beau jour, ayant passé sous la barrière dont il avait préalablement grignotté la base, il découvrit...
    Comment ça ? Le lecteur n'en a rien à faire ? Le lecteur veut du "Toda of the Dead" ? Le lecteur est bien inconscient. Le lecteur préfère-t-il le récit de scènes chocs, de lutte ultime pour la survie à l'histoire d'un jeune lapin aventureux et gourmand ? Mais qui lui dit que ce qu'il aurait vu derrière la palissade n'aurait pas fait dresser les cheveux sur la tête ?! Qui dit que le lapin en question n'en serait pas sorti traumatisé ? Qui dit que lui aussi n'aurait pas découvert l'essence de la peur ? Peut être aurait-il trouvé lui aussi son Furûtsu.paradaizu...

    Afin d'épargner au lecteur trop d'agacement, expliquons en quelques mots en quoi consistait le Furûtsu.paradaizu.
    Le Furûtsu.paradaizu (フルーツ・パラダイズ "Paradis des fruits" en japonais), comme son nom le suggérait, était une usine agro-alimentaire. Seulement, ni Axel, ni les autres n'y avaient jamais vu entrer (ni sortir) rien qui rappelât de près ou de loin le moindre petit fruit. Cette usine n'était séparée de la résidence que par une bande de terre d'un mètre environ, et une maigre clôture, qu'il aurait été facile d'escalader si l'on avait voulu. Mais de quelle usine parlons-nous ? Etait-il encore possible d'appeler cela une usine ? Quiconque n'a pas vu le Furûtsu.paradaizu ne peut imaginer qu'un tel concentré d'ignomine architecturale conjugué à une dégradation avancée et à une crasse extrême puis exister en dehors d'un mauvais film.medium_furuutsu_paradaizu_3_.jpg_vert_web.jpg C'étaient des murs fins et fissurés, des sorties d'aération dont partaient des trainées noirâtres, des cuves fendillées, un labyrinthe en trois dimensions de tuyaux graisseux, des escaliers d'une finesse extême, rouillés de la base au sommet, des fenêtres coulissantes donnant sur des salles d'expérimentations où s'affairaient à toute heure du jour ou de la nuit une ou deux personnes en combinaison intégrale, alors que le mur de la pièce en question était troué. Des lumières absolument invraisemblables, plutôt qu'elles n'éclairaient les pièces, les faisaient baigner dans un clair obscur des plus kitch. Le vert pomme le disputait à l'orange, comme dans un vaisseau spatial des années cinquante. Certains détails posaient à l'observateur d'insolubles énigmes : ainsi la présence d'une serviette de toilette sur un des tuyaux, inaccessible, ou encore le tapis de tasses blanches et de débrits de couvercles en plastiques dans un coin du jardin. Personne ne nettoyait jamais l'extérieur de la propriété (qui contrastait avec la résidence bien entretenue) : aussi pouvait on voir une sac poubelle rempli de détritus, sans doute jeté d'un étage de la résidence par un locataire farceur, se décomposer de jour en jour, sous une des cuves géantes dont le revêtement noir partait en grosses plaques aux quatre vents. medium_furuutsu_paradaizu_18_.jpg_marron_web.3.jpgLa fumée ne sortait jamais des cheminées, mais des murs. Et le personnel s'activait exclusivement l'intérieur. Alors pourquoi une porte à double battants, de type hôpital, au rez de chaussée faisant face aux fenêtres du couloir de la résidence était-elle ouverte, certaines nuits, par les hommes en combinaison blanche, et qui ne laissait percevoir qu'un mur éclairé par une lumière verte ?
    Chaque soir, le Furûtsu.paradaizu bruissait, mais les chambres d'Axel et de Pablo, situées de l'autre côté du couloir, n'en percevaient rien (la vue du bâtiment leur était épargnée par la même occasion). Il suffisait de traverser le couloir pour être rappelé à sa mystérieuse existence.

    Lire le chapitre 4

  • Toda of the Dead (2)

    Axel prenait sa douche le matin, après manger. La salle de bains, ou plutôt "les bains", était située au rez-de-chaussée du bâtiment. Il s'agissait d'un vestiaire aux casiers vermoulus et sans porte, d'une petite salle avec des boxes sans la moindre porte, au système d'aération inoppérant depuis l'effondrement progressif du plafond qui avait amené le concierge à scotcher de vieux pieds de lit et une échelle sur les les montants desdits boxes, pièce qui donnait sur une autre, plus spacieuse avec un grand bassin entouré de douches sans la moindre cloison, qui dispensaient la seule eau froide que requiert l'hygiène spartiate du brave du pays du soleil levant. L'usage, collectif, répugnait à Axel, tout comme aux autres, d'ailleurs, mais contrairement à Fabien, qui se lavait en morceau devant son lavabo de chambre, à Guillaume, qui ne cachait pas son corps d'athlète aux autochtones envieux, ou à Pablo qui faisait sa toilette à des horaires de faible affluence (début d'après-midi), il prenait sa douche le matin, tout en s'efforçant de cacher sa virile nudité, qu'il réservait à sa vie privée. Il était donc devenu expert en maniement de serviette, et arrivait à la diposer au centimètre près sur le montant du box de douche situé à l'angle de la pièce, de façon à la faire pendre dans le sens de la longueur, afin de n'être pas vu. En outre, la nudité masculine lui était fort désagréable à voir. Tous ces derrières poilus, souvent boutonneux, ces devants disgracieux... Il détournait le regard, et pensait à autre chose.
    Revenu à sa chambre, il prépara ses affaires et sortit, verrouilla la porte et, à tout hasard, alla frapper chez Pablo.

    Ce matin-là, Pablo n'était pas encore parti. Il entr'ouvrit la porte et d'un geste hémi-circulaire de l'avant bras, la main à plat, qu'il ramena vers le haut de son torse, et avec un sourire, signifia le bonjour. Pablo était à peu près de la même taille qu'Axel, assez carré d'épaules, et s'habillait urbain, avec tee-shirt à manches longues et pantalon ample de jolie coupe. Axel appréciait son style, élégant et décontracté, bien que lui-même aimât à porter le costume de temps en temps. Les cheveux longs de Pablo légèrement emmêlés tombaient romantiquement sur son visage encore poupin, aux yeux pétillants d'intelligence. "Tu peux me donner cinq minutes, s'il te plaît ?", dit-il. Axel répondit d'un geste et d'une mimique, et retourna dans sa chambre prendre un paquet de mouchoirs en papier.

    Quelques minutes plus tard, Pablo, le chef coiffé d'un bonnet bleu sombre enfoncé jusqu'aux yeux, vint frapper à sa porte, tout sourire. "On y va ?
    - Allons-y". Et ils se mirent en route. Que le lecteur pardonne la trivialité de toutes ces descriptions : elles sont absolument indispensables à l'intelligence de la suite du récit. Quant à la pauvreté du dialogue ci-dessus, eh bien disons que si l'on avait signifié aux intéressés que leur conversation serait retranscrite telle quelle, peut-être auraient-ils fait quelque effort, ou peut-être aussi n'auraient-ils rien dit du tout !
    "- Hier, Guillaume n'est pas venu en cours, fit Pablo alors qu'ils descendaient tranquillement l'escalier.
    - Comment aurait-il pu ? rétorqua Axel en le regardant de côté, il avait sa série à finir ! T'es marrant, toi.
    - Et moi, qu'est-ce que je suis censé dire à Mme SETÔ ?
    - Bah rien. Dis-lui que tu ne l'as pas vu.
    - C'est ce que j'ai fait jusqu'à présent.
    - Bien, alors continue. Et Fabien ?".
    Ils enfilèrent leurs chaussures dans l'entrée et après avoir salué le concierge, quittèrent la résidence.
    "- Fabien ? Pas vu depuis deux semaines. Silence radio depuis l'incident.
    - Je vois. Moi non plus, pas vu depuis trois semaines, mais il faut dire qu'avec mon travail, je n'ai pas le temps de voir grand monde."

    Il est important de noter ici qu'Axel était le plus âgé du groupe des Français, et ne suivait aucun cours avec les autres. Il menait ses diversees recherches avec application, était toujours très pris, et de toute façon n'avait pas envie d'importuner "les jeunes", ni de faire du "jeunisme" pour s'en faire aimer.

    Devisant politique et littérature, avec parfois des instants de silence qu'ils goûtaient également, ils cheminèrent jusqu'à la gare. A mi-chemin, ils croisèrent une fourgonnette blanche qui arrivait à toute vitesse, chose inhabituelle à Toda, ville dortoir de la banlieue de Tôkyô où les seuls véhicules à se faire remarquer étaient les Cadillac achetées à prix d'or par le gang local, en fait une bande de petits rigolos plus préoccupés par l'achat de vêtements, de CD et d'accessoires hip-hop, que de jouer aux gangsters. Mais Axel et Pablo ne firent pas référence au véhicule et en trois secondes, l'avaient déjà oublié.

    Cinquante minutes plus tard, ils arrivaient à leur université où ils se séparèrent.

    A la pause de midi, Axel sortit et tomba sur Guillaume. "Ah tiens, ça va ?" Guillaume faisait une mine inquiête.
    - Oui, mais Fabien n'a pas l'air d'aller très fort.
    - Ah bon ?! Qu'est-ce qu'il a ?
    - Ce matin, j'étais en train de fumer sur le balcon et j'avais la main posée sur son climatiseur, lorsque je l'ai vu sortir, furieux, et il a commencé à me crier après, comme quoi je serais en train d'affaisser le dessus de son climatiseur, alors que je le touchais juste de la main, comme ça.
    - Ah bon ?
    - Oui. Alors je lui ai dit : Fabien, tu vois bien que je n'affaisse pas la paroi de ton climatiseur. Et là, tiens-toi bien, il me fait : c'est pas la première fois que tu me fais chier, texto !
    - Il t'a dit ça ?
    - Oui. Alors moi, je lui réponds polîment : Fabien, sur quoi est-ce que tu te bases pour me dire ça ?
    - Oui, bien sûr...
    - Et lui, il me répond complètement à côté, me dit qu'il en a marre et qu'il a mal à la tête, qu'il doit se coucher car il n'AURAIT pas fermé l'oeil de la nuit. Remarque, là, tout bien considéré, je veux bien le croire, vu tout le bruit qu'il y avait. En tout cas, il était tout blanc, avec des cernes sous les yeux et il avait mauvaise haleine.
    - Il a peut-être quelque chose... Sans parler du climatiseur.
    - Oui, et je commence à m'inquiéter pour lui", fit Guillaume avec mansuétude.

    [A suivre ! Dans le prochain épisode, un nouveau pesonnage fera son apparition et vous découvrirez ce qu'est le Furûtsu.paradaizu...]

    Lire le chapitre 3

  • Toda of the Dead (1)

    Tidit tidit tidit !!!... "Arghhh.... " Axel allongea la main vers la montre et le téléphone portable tous deux placés au-dessus de sa tête, tous deux également réglés sur 6 heures et demie. Il parvint à éteindre le téléphone, et il se disait qu'il passerait volontiers quelques minutes supplémentaires au lit, lorsque ce fut au tour de la montre de se déclencher. Pidididip, pididip, pididip, pididip ! "Arghhh... " refit-il encore, et il désactiva la sonnerie qui avait entériné son réveil, comme chaque jour sauf le dimanche. La douche fermait de neuf heures à midi, pour entretien, sauf le dimanche, et Axel mangeait lentement. Aussi n'y avait-il autre chose à faire que de prendre son parti, et d'adapter son métabolisme. Il était loin de se plaindre - Axel n'était pas un geignard - de ce nouvel horaire, qui lui convenait certes mieux que celui du premier semestre, qui l'obligeait à se lever une heure plus tôt pour être en cours à 9h. Non seulement Axel mangeait lentement, mais en plus le trajet jusqu'à l'université lui prenait une heure...

    Il s'assit sur son séant et fit quelques étirement, laissant son dos craquer, agréable sensation, mais surtout nécessaire préalable à toute journée passée hors de son lit, ce qui semblait être son cas depuis des années. Puis il se leva d'un bond, se prépara et s'habilla. Il quitta sa chambre, prenant soin comme toujours de refermer à clef derrière lui, et il alla frapper deux portes plus loin, sans trop insister. Il avait remarqué que plus il tapait fort, plus Pablo arrivait tard au réfectoire. Comme chaque matin, il fit un crochet par les toilettes. Ce jour-là, comme presque toujours, la fenêtre située au dessus des urinoirs était ouverte, et systématiquement, Axel jetait un coup d'oeil dehors, content qu'un peu d'air frais vint se substituer aux senteurs de la pièce. En face de lui, fumant, se dressait le Furûtsu.paradaizu.
    Axel aimait bien l'odeur du savon japonais, et notamment du savon liquide du dortoir. C'était toujours un plaisir, pour un garçon tel que lui, à l'hygiène scrupuleuse, que de faire usage de savon, à plus forte raison si l'odeur lui plaisait. Ayant apporté avec lui l'objet rendu indispensable du fait du mode de vie local, une serviette éponge, il s'en servit consciencieusement en se dirigeant vert le réfectoire. Lorsqu'il poussa la porte, sa serviette était pliée dans sa poche. Il prit un plateau, y plaça les assiettes auxquelles il avait droit, et se dirigea vers une table où un jeune homme à coupe afro, mince, vêtu d'un tee-shirt à manches longues bleu, avait commencé son maigre repas. "Salut la France", lui lança-t-il. Sur quoi Guillaume lui répondit du même ton "Euïss" (ce qui veut dire "Salut" dans le langage des jeunes hommes japonais).
    Axel s'assit, et comme tous les matins, demanda à son compatriote "Alors, quoi de neuf ?" Sur quoi :
    "- Bah, rien de spécial. J'ai regardé dix épisodes de Haibané renmei cette nuit".
    - Ah...
    - Tu vois de quoi je parle ?
    - Euhh...
    - Mais je t'en ai déjà parlé !! Enfin !
    - Oui, mais bon, j'ai d'autres choses à penser, aussi.
    - Haibane renmei, la confédération des ailes cendrées, voyons !
    - Ah oui..." (Bah tiens ! Pensa-t-il.)
    - Oui, tu sais, les personnages qui ressemblent à des humains avec des ailes. D'ailleurs, dans l'épisode 27, il y a une scène avec un plan trop bien fait qui est une véritable leçon de cinéma. Si tu voyais les étapes d'animation..."
    Axel n'écoutait plus. Il était occupé à transférer le plus discrètement possible le contenu d'une assiette (qui serait suivie d'une coupelle) dans un morceau de film plastique, opération délicate et risquée, mais qui lui permettait d'économiser un déjeuner chaque jour, six fois par semaines. Et cela valait la peine de risquer de s'attirer la colère du concierge, dont on entendait justement la femme piailler d'une voix à la fois plaintive et stridente.
    Axel s'appliqua ensuite à dédoubler, au moyen de son couteau personnel qui ne lui avait coûté que cent yens, mais qui n'en valait pas plus, vu qu'il coupait le minimum syndical, à dédoubler, dis-je, une tranche de pain de mie humide, l'aliment de base de ses petits déjeuners, après l'avoir coupée en quatre petits carrés. Guillaume continuait son cours quotidien de techniques de l'animation, et Axel marmonnait un "Ah ouais ?" de temps en temps. Lorsqu'il eut fini, il alla porter ses fines tranches de pain de mie jusqu'au grill qu'il lança, et revint s'asseoir. Là, il fit face à Guillaume, qui reprit son histoire au mot, en milieu de phrase où il l'avait laissée, et la termina.
    "Sinon à part ça, ça va ? Lui demandé Axel sans le regarder, jetant un oeil désintéressé sur la télévision située près de lui, et qui semblait ne diffuser que de la publicité, entrecoupée de programmes affligeants de stupidité, où des panels de pipôles s'extasiaient sur des nouilles banales et où des toutous faisaient le bonheur de leurs maîtres en donnant la papatte ou en allant chercher le journal qu'un père de famille silencieux lirait en diagonale avant de s'attarder sur la page des sports, et celle de la pin'up, l'air inexpressif.
    "- J'ai pas dormi de la nuit. Je sais pas c'qui s'passait, au Furupara" (c'est ainsi qu'ils appelaient entre eux le Furûtsu.paradaizu), mais y'avait un d'ces boucans ! J'étais trop bla-sé ! Alors j'ai lancé Vampire Hunter D pour la 78ème fois, et là, lorsque je suis arrivé à la scène où..." Axel décrocha encore. A ce moment là, le grill dinga, et il se leva. Pour aller chercher ses tranches.
    "Au fait, il a pas cours, c'matin, Fabien ?" lança Axel de l'autre bout de la salle.

    [A suivre]
    Lire le chapitre 2

  • Emprise progressive (4)

    Raphaël chercha rapidement du regard une place discrète dans le train. Fumeur ou pas, il s'en moquait. Plus rien de ce qui l'agaçait ou l'amusait n'avait désormais d'importance. Sa jambe le faisait de plus en plus souffrir. Le nerf qui la parcourait semblait rempli de cire chaude, et la sensation de saturation qui en découlait remontait le long de son tronc, irrigant les flancs, jusqu'au cou. Bon sang, vite ! Que je m'assoie, pensait-il. Et les passagers qui montaient, ne le dévisageaient-ils pas ? N'étaient-ils pas intrigués par sa claudication suspecte ? son visage transpirant ? son regard trop perçant ? Combien de personnes allaient-elles monter dans ce wagon ? Il lui semblait que cet incessant flot de monde, grouillant, n'en finissait plus d'alourdir le véhicule qui devait, pour un temps, l'éloigner de Paris et de ce qu'il y avait laissé. Pourquoi tous ces visages riants autour de lui ? Pourquoi cette joie absurde ? ces cris, ces pseudo-conversations ? ces habits de camping ? Cette population grossièrement bovine, piaffant d'impatience d'arriver à son lieu de villégiature beauf semblait le frapper pour la première fois. Ils ne savent pas ! Ils ne savent rien ! Ils ne cherchent pas à savoir ! Et pourtant ça a déjà commencé ! pensait-il, alors qu'il sentait sa jambe en feu.

    Le train s'ébranla. Enfin, c'est pas trop tôt ! se dit-il, légèrement soulagé, mais toujours dans le même état psychologique. Ses yeux faisaient de fréquents allers et retours entre les rangs de fauteuils, l'allée, les bagages déposés au-dessus des têtes... Tout semblait normal. TOUT SEMBLAIT NORMAL.

    Ne pas tourner en rond. Ne pas tourner en rond. Ne pas tourner en rond.

    Pour tenter d'oublier sa jambe, Raphaël regarda par la fenêtre. C'était la banlieue parisienne. C'était laid, mais pas trop. Des nuages apparaissaient çà et là. Le ciel était serein. Pas d'orage en vue. Une nuée d'oiseaux passait calmement au dessus des plaines.

    Raphaël essayait toujours de se calmer. Il plongea son visage dans ses mains quelques instants et s'efforça de respirer plus lentement. Il sentait l'artère de son cou battre violemment, et quiconque y aurait prêté attention eut remarqué qu'effectivement elle était saillante, et en aurait pu suivre les pulsations énergiques. Il resta bien cinq minutes ainsi, concentrant son esprit sur ses mains, son souffle, sa jambe qui le lançait. J'irais bien faire un tour aux toilettes pour voir l'aspect qu'elle a à présent, songeait-il.

    Je repense à l'histoire du l'enfant qui tuait des chats, aussi, j'y reviens. Dans son enfance, l'enfant qui tuait des chats subit un dangereux traumatisme psychologique. Il faisait de nombreux cauchemars. Sa mère s'en alarma et l'envoya consulter un pédo-psychologue. Le brave homme ne parvint pas à déterminer, au bout de deux rendez-vous payés par les services sociaux, ce qui arrivait au garçon. Il ignorait tout des chats, ainsi que la pauvre mère, dépassée par les évènements. Et pourtant, elle aurait très bien pu se douter de ce qui provoquait ces mauvais rêves, dans lesquels...
    "Excusez-moi, la place est libre ?". Raphaël sursauta...

    Lire le chapitre 5