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Mes textes littéraires 作品 - Page 9

  • Emprise progressive

    Il se réveilla en sursaut. A ses côtés, rien n'aurait dû se trouver, et pourtant... Il tressaillit, son sang semblait affluer plus que de raison dans ses tempes. Dehors, les bruits de la rue révélaient un tranquille matin de printemps. C'est au chant des rossignols et des moineaux qu'il ouvrit les yeux sur la scène. Presque par réflexe, il regarda sas mains. Bon sang, c'est pas vrai, pensa-t-il si fort que son chat, qui dormait non loin de là sur le fauteuil près de la fenêtre, entrouvrit ses yeux en angle droit et lui jeta un vague coup d'oeil, avant de s'étirer, de se lever et de se retirer dans la salle de bain dont la porte était restée ouverte. Raphaël regarda soudain la lumière qui filtrait par rayons saturés de poussière de la grande fenêtre en bois à la peinture écaillée. Il bondit alors hors du lit et se rua sur les épais rideaux qu'il tira violemment, plongeant de fait la pièce dans les ténèbres. Nu comme un ver, il sentait de fortes douleurs dans les deux jambes qui lui lançaient d'une façon inédite. Après un deuxième regard au sol à l'endroit où se trouvait..., il se dirigea lentement vers le cheminée recouverte de marbre, un magnifique ornement dans cet appartement d'époque Restauration, sur laquelle était posée un grand miroir encadré de bois doré noirci, vraisemblablement de style Louis XV. Une seconde lui suffit : "Putain !!", s'exclama-t-il, et il entendit la chat miauler dans la pièce à côté. Il se rappela soudain ce que Marescould lui avait dit un mois plus tôt : "A ce moment-là, il faudra renoncer à tout, et te sauver sans perdre une seconde" Il lui avait fait promettre, le lui avait répété, fait répéter jusqu'à l'agacement "Oui, je devrai me sauver sans plus attendre, j'ai compris"... Au deuxième miaulement du chat, sans toucher à rien d'autre dans la pièce, il se précipita sur ses vêtements en tas, s'en vêtit en manquant tomber, sautillant grotesquement sur un pied, prit son téléphone mobile, ses clés de voiture, le livre qui traînait sur la table et son portefeuille dans le tiroir du haut de sa commode et, une fois enfilées ses baskets sans même se donner la peine d'en nouer les lacets, il lança "Prend soin de toi, Arsène" (c'était le nom du chat), et avant que celui-ci ait eu le temps de lui répondre, il avait déjà refermé la porte et dévalait l'escalier...

    Lire le chapitre 2

  • Plotin et l'âme en S-6

    Ainsi l'âme, cet être divin, issu des régions supérieures, vient à l'intérieur d'un corps : elle qui est la dernière des divinités vient ici par inclination volontaire, pour exercer sa puissance et mettre de l'ordre en ce qui est après elle ; et si elle fuit au plus vite, elle ne subit aucun dommage pour avoir pris connaissance du mal, pour avoir connu la nature du vice, pour avoir manifesté ses puissances et avoir produit des actes et des actions : toutes ces forces, inactives dans le monde incorporel, seraient vaines si elles ne passaient toujours à l'acte ; l'âme même ignorerait qu'elle les possède si elles ne se manifestaient et ne procédaient d'elle ; car l'acte manifeste toujours une puissance cachée et invisible qui n'est pas en elle-même, une vraie réalité. De fait, chacun est émerveillé des richesses intérieures d'un être en voyant la variété de ses effets extérieurs, tels qu'ils sont dans les ouvrages délicats qu'il fabrique.

    extrait des Ennéades



    Ainsi l'ambulacraire, cet étranger diverticule, issu des régies superfluides, vient à l'interféron d'un corporal : *lui* qui est la (dernière/) dermatose des divinateurs vient ici par incivisme voliger , pour exemplifier son puisage et métrer (de) l'ordonnancement en ce qui est après *lui* ; et s'il frustre au plus vitaliste, *il* ne subdivise aucun dominicain pour avoir prémédité conjungo de la majorité, pour avoir conjuré la natte du vibromasseur, pour avoir manié ses puisages et avoir prodigué des acrosomes et des actinométries : tous ces forages, inaccessibles dans les monastères inconvenants, seraient vagues s'*ils* ne passementaient totalement à l'acrosome ; l'ambulacraire même ignifugerait qu'*il* les pose s'*ils* ne se maniaient et ne privilégiaient d'*eux* ; car l'acrosome manie totalement un puisage cache-flamme et invisible qui n'est pas en lui-même, un voyant réalgar. De faisandeau, chabot est émergé des riccies interférentielles d'un étranger en voilant la variation de ses efféminés extensifs, tels qu'ils (sont/) étourdissent dans les outremers délibérant qu'il (fabrique/) exulte.

    Les enlisements

    Notes :
    1 Ambulacraire : Du fin tube de locomotion des échinodermes.
    2 Diverticule : Petit détour bien écarté.
    3 Interféron : Substances solubles que sécrètent les cellules infectées par un virus et qui protègent les autres cellules de l'infection virale.
    4 Corporal : Linge bénit, figurant le linceul de Jésus-Christ, que le prêtre étend sur l'autel pour y poser le calice et l'hostie.
    5 Voliger : Garnir de charpente.
    6 Conjungo : Plaisant. , vieilli : mariage.
    7 Acrosome : Organite sécrétée par l'appareil de Golgi, situé à la partie antérieure du spermatozoïde.
    8 Actinométrie : Mesure de l'énergie transportée par un rayonnement.
    9 Réalgar : Sulfure naturel d'arsenic, de couleur rouge.
    10 Chabot : Poisson à grosse tête, qui peut atteindre 30 cm.
    11 Riccie : Hépatique à thalle des terrains humides.

  • Sunt puellae

    SUNT PUELLAE, prose




    Il est des souvenirs qui laissent rêveur. J'étais en train de jouer aux dés sur la plage avec un ami de longue date. Le jour déclinait et nous n'avions plus grand chose à faire, si ce n'était bavarder et profiter du coucher de soleil.
    Nous nous apprêtions à regagner nos motos garées plus haut, profitant, bien au chaud dans nos combinaisons de cuir renforcé, de la fraîcheur de l'atmosphère qui commençait de s'installer. Six filles nues passèrent alors sous nos yeux en causant, avec des manifestations de joie. Elles ne purent que nous remarquer et allèrent s'asseoir à vingt mètres de nous. Mon ami et moi nous regardâmes. Je crois qu'à cet instant-là, l'idée de rentrer nous avait passé. Nous tournâmes vite ensuite le nez vers elles, sans y réfléchir, décidés à jouir du spectacle qui s'offrait à nos mâles regards. Dans notre émoi, nous nous interrogions mutuellement sur les raisons d'une telle présence. A mesure que nos yeux gourmands fixaient ces corps graciles, nous sentions toute la puissance du désir animal dilater nos virilités ambitieuses. Que faire ? fallait-il s'approcher ou rester assis, comme des maîtres attendant de se faire servir leur dû ? Nous optâmes pour une stoïque attitude qui, affirmant la puissance de notre esprit, devait à coup sûr en imposer aux donzelles. Ces dernières, qui n'avaient pu manquer de remarquer l'effet qu'elles produisaient sur des hommes tels que nous, s'étaient mises à jouer entre elles, avec des éclats de rire, dont les femmes ont fait une arme de séduction supplémentaire, et des mouvements de cheveux, étincelants dans les derniers rayons du jour : par une sorte de lutinerie, elles se prodiguaient l'une l'autre des caresses et de douces chatouilles sur tout le corps, se ballottant leurs poitrines de toutes tailles...
    "Je n'en puis plus, me dit mon ami, il faut faire quelque chose : soit nous partons immédiatement, soit nous allons les voir et nous leur montrons qui sont les hommes, ici. Vas-y, toi..."Je ne sais s'il m'en croyait réellement capable, mais je le surpris en me levant sur-le-champ (me surprenant moi-même) et je retirai mon blouson, le laissant lourdement retomber dans le sable humide dans un bruit sourd. Je m'avançai vers le bataillon des tentatrices qui m'attendaient, tout sourire, les tétons audacieusement pointés dans ma direction. En matière de séduction, je ne saurais me louer de plans qui auraient fonctionné. Aussi, en cette circonstance manifestement exceptionnelle, n'avais-je aucune stratégie. Il me fallut donc recourir à mon talent d'improvisateur. Je n'étais sûr de rien, sauf d'une chose : que face à un groupe de filles, qui plus est assez sures d'elles pour soutenir éhonté ment le regard d'un homme alors qu'elles étaient nues, je ne pourrais guère compter sur leur candeur, et qu'en cas d'échec, il serait d'autant plus douloureux qu'il aurait lieu sous les yeux mêmes de mon meilleur ami.
    A mesure que mes pas me rapprochaient de l'escadron de ces voluptueuses créatures, je faisais les plus grands efforts dont un homme soit capable pour dominer ma peur et paraître assuré. A deux mètres d'elles, je leur adressai la parole. Celles qui regardaient ailleurs tournèrent alors la tête dans ma direction. Je fis encore deux petits pas. Là, pensai-je, la machine est lancée, on ne peut plus l'arrêter : fais ce que la nature veut que tu fasses, et tant pis pour les conséquences. Laissant mon regard rebondir de l'une à l'autre sans s'attarder (je ne voulais pas paraître intéressé, bien que je l'étais assurément), je repris mon discours sans discontinuer, d'un débit un peu rapide et haché à certains moments, ce dont j'étais conscient mais contre quoi je ne pouvais rien faire. Lorsque mon imagination verbale ne fournit plus de mots à ma bouche, je finis par m'arrêter et, ému, je passai ma main moite sur mon visage barbu de quelques jours. Sans doute ma virilité apparut-elle transcendée aux yeux de ces femelles en rut, car l'une d'elle me fit signe de venir à elle, d'un doigt, et me dit : "Tu as fini ? ... Eh bien, viens un peu près de nous... et montre-nous qui est l'homme, et ce qu'un homme comme toi peut bien faire avec six filles nues... " Je ne me fis pas prier. J'épargne au lecteur les détails que pourtant je le sens curieux de connaître. Tout ce que je dirai, c'est qu'en cet instant je perdis vite mes vêtements et que j'avais oublié mon ami, sidéré, au loin...
    Jusqu'à ce qu'elles lui firent signe de nous rejoindre. Pensez donc : six filles, toutes plus délicieuses les unes que les autres ! Il y avait bien de l'ouvrage pour deux !



    commencé le 19 septembre 1997 et fini le 19 juin 1999 au manuscrit et le 1er. octobre 1999 à la frappe.

  • Identité et rapport à l'autre

    ou esquisse de notes fragmentaires sur une question fondamentale mais très subtile
    (extraits)



    Parmi les problèmes qui m’agitent, il en est un en particulier que je tiens à présenter ici : il s’agit de l’identité et du rapport à l’autre, termes peut-être vagues vu la multitude de sens qu’on a plaqués dessus, mais à mon sens primordial, car la plupart des interrogations philosophiques, sociologiques, anthropologiques, historiques et juridiques en découlent.
    C’est dès lors qu’on aura une certaine idée de soi ou de l’autre qu’on sera accessible à l’enseignement d’une morale, quelle qu’elle soit. Sans chercher à remonter rationnellement, selon une démarche scientifique, au nœud du problème, je voudrais ici coucher sur le papier quelques réflexions qui me sont venues de deux sources : mes études en langue japonaise et l’écoute de l’émission d’Alain FINKELKRAUT, « Réplique » (...).


    I / Bref, pour revenir à le question de l’identité et du rapport à l’autre, c’est en entendant (...) parler du Loft que j’ai fait le lien avec des questions qui m’intéressent particulièrement. Pour moi, le langage reflète l’idée, le concept et l’identité. Le langage pauvre des lofteurs reflète leurs idées primaires, leur identité superficielle et leur rapport à l’autre. Comment des gens incultes au point de ne pouvoir maîtriser la langue de leur propre pays pourraient-ils se sentir Français, quand leur patrimoine leur est, sinon inconnu, du moins non porteur de sens, car ils n’en possèdent pas les clefs et leur éducation (je ne veux pas accepter l’idée d’une bêtise biologique) ne leur a pas donné l’envie d’aller les chercher, à défaut de ces clefs elles-mêmes ? Pas étonnant que ces jeunes lofteurs, représentatifs à tort ou à raison d’une jeunesse majoritaire, se sentent davantage appartenir à des sous-groupes, des « tribus », non forcément géographiques, comme le hip-hop, la variété internationale, etc., détachés des bases de la culture[1], indissociables de l’Histoire des peuples, les deux constituant les riches identités des nations qui se connaissaient paradoxalement mieux, tout en se sentant étrangères (ou « autres »), l’une par rapport à l’autre, et ayant à ce titre des échanges plus riches que ceux qu’on voit dans le Loft ou sur les forums de discussion d’Internet. Un Français parlant allemand et maîtrisant ses classiques (sans aller jusqu’à avoir fait ses humanités) avait autrefois avec un Allemand parlant français et maîtrisant les siens des échanges beaucoup plus riches qu’aujourd’hui un Français et un Allemand ignorants de leur culture propre (sans parler de la culture de l’autre) et s’entretenant en anglais. Le phénomène de « culture de masse » — qu’on aime ou non ce terme, l’usage l’a adopté, et nous le conservons ; il en vaut bien un autre — au sens d’ensemble de phénomènes sociaux liés à la consommation de masse de produits largement diffusés, sinon presque toujours mis sur le marché par des firmes nord-américaines, souvent calqués ou en tout cas fortement inspirés par le modèle américain commercial ; bref, cela, lorsqu’on s’y limite, c’est à dire lorsque les fast food représentent le seul horizon culinaire, la pop music, le hip-hop le seul horizon musical et les bloc busters le seul horizon cinématographique, sans parler de l’ignorance quasi-totale en matière de sculpture, de littérature, d’architecture etc., lorsque donc la culture de masse représente la seule culture pour les personnes, elles croient se comprendre et se retrouver dans le « village planétaire », mais cette rencontre et cette compréhension sont fortement limitées à l’étroitesse de ce champ mental que cette culture de masse, en elle-même, borne. Et, à défaut de partager des idées, des informations dignes de ce nom, les partenaires en présence tentent de créer une camaraderie artificielle fondée sur cette culture de masse commune et des émotions simples : c’est ce qu’ils appellent « être dans le même délire ».
    Ce sont toujours, sinon les mêmes mots, du moins les mêmes idées, qui reviennent : c’est bien (au sens de cela me plaît), c’est nul (au sens de cela ne me plaît pas) et je veux (je désire). Tout est donc jugement hâtif et superficiel (faute de critères de qualité objectifs, tout se limitant à l’intérêt immédiat, puéril) et désir. Et là, le « désir mimétique » découvert par le sublime GIRARD joue pleinement.
    Mais il arrive, phénomène rare mais existant néanmoins, que des esprits incultes veuillent sortir de leur inculture afin d’enrichir leur identité, je distingue trois types d’attitudes, qui peuvent se succéder.
    1/ La plus simple est de se tourner vers le folklore du lieu géographique où elles se trouvent, ont passé leur enfance, sont nées ou bien où leurs parents ou aïeuls ont vécu et dont ils ont plus ou moins parlé. Mais qu’est-ce que le folklore, cette « science du peuple », sinon la culture de masse[2] à l’échelle d’un village ou d’une région, figée le plus souvent pour la France au XIXème siècle, notamment pour la musique et les costumes. Certain va connaître et s’enrichir de l’origine de telle farandole locale, mais va négliger de découvrir l’héritage gréco-romain et judéo-chrétien qui imprègne bien plus ces mêmes lieux, où, autrefois, une référence à Oreste, à Charles Quint ou à Esaü était porteuse de sens, sans aller jusqu’à être pleinement connue.
    2/ La seconde étape est l’intérêt pour l’Histoire, d’abord locale, puis nationale et internationale, voire ensuite pour d’autres sciences humaines (le Droit, la sociologie, l’économie…). Ces domaines, très riches, parfois infinis (le Droit), ne sont cependant pas suffisants pour avoir la perception la plus juste, les idées les plus nombreuses et l’identité la plus riche, sans parler de la connaissance de celles des autres nations et cultures. En effet, celui qui avait étudié la farandole de sa région, pour reprendre mon exemple précédent, va vouloir se mettre à l’étude de l’Histoire locale (le bailliage, les relations avec le seigneur…), qui va l’amener à l’Histoire nationale : les notions de chevalerie, de seigneur, de domaine, l’organisation des pouvoirs publiques etc. Son champ de vision, grâce à l’Histoire, va s’ouvrir, et il va se découvrir de nouveaux points communs avec ses compatriotes qui sont issus du même contexte socio-historique. Toutefois, il ne pourra pas comprendre, et à plus forte raison concevoir et exprimer les raisons intellectuelles qui poussaient les hommes du passé à vivre de telle ou telle manière. La philosophie du Droit, base du droit ; les religions judéo-chrétiennes (dans le contexte européen) base de la morale, du Droit canonique, des arts et de la pensée pendant des siècles ; les arts (la peinture comme réflexion sur la place de l’homme dans le monde et expression de théories et de sensibilités, où fourmillent les sujets historiques et mythologiques ou religieux) ; la musique polyphonique qui occupe l’esprit non seulement avec l’air global qui s’en dégage, mais avec chaque ligne musicale, chaque partie qui y concourt, et tant d’autres choses : disciplines, œuvres, artistes, penseurs et leurs idées etc. lui échappent encore et il conserve un certain malaise devant des faits du passé qui, bien qu’il ait conscience de leur existence et dont il connaisse certains modes de fonctionnement, ne lui parlent toujours pas.
    3/ C’est là qu’intervient la troisième étape. C’est la découverte de ce que j’appelle la « culture » au sens strict (Kultur en allemand avait ce sens il n’y a pas si longtemps), par opposition à la culture au sens large qui signifie mœurs et pratiques sociales. La culture stricto sensu, on l’aura compris, est constituée des arts et lettres (musique écrite savante, peinture, sculpture, architecture non uniquement fonctionnaliste, littérature…), des philosophies et des religions.
    Il est manifeste que les sciences humaines et la culture se sont nourries et construites l’une grâce à l’autre, et que le folklore y a souvent puisé. Bien sûr, cet ordre d’étapes est un ordre logique, théorique. On peut suivre un ordre différent : pour ma part, j’ai suivi l’ordre strictement inverse dans la découverte de mon pays (la France), alors que j’avais suivi l’ordre rationnel (non tellement par choix que par suite de la conjoncture, pour ce qui est, par exemple, le Japon et la Chine.


    II / Comme je l’ai déjà dit, l’une des composantes essentielles de l’identité est la langue. Aussi, la langue parlée ou la langue modifiée est-elle un révélateur du sentiment d’appartenance. Ainsi deux phénomènes linguistiques sont-ils particulièrement révélateurs à cet égard : l’introduction de mots nouveaux pour désigner des référés (objets ou faits) nouveaux ; et la modification du vocabulaire existant pour désigner des référés préexistants. Nous donnerons des exemples tirés du monde riche non anglophone.
    1/ Lorsqu’un nouvel objet ou une nouvelle idée fait son apparition, il est normal de vouloir le ou la nommer, et d’ensuite (ou concomitamment) établir des distinctions lexicales, des sous-groupes de ces nouveaux objets. La création de mots nouveaux, en français, procède de trois manières différentes : soit un emprunt pur et simple à l’étranger, ce qui est massivement le cas aujourd’hui en français avec des mots anglais, et cet emprunt peut ensuite déboucher sur une adaptation ou une francisation, un japonisation (ainsi par exemple, l’emprunt beefsteak (tranche/ escalope de bœuf) a été peu à peu transformé en « bifteck », de même en japonais avec la « katakanaïsation » de mots venus aujourd’hui massivement de l’anglais, par exemple keybord (clavier) qui a donné キーボード (kîbôdo)) qui, par une modification syntaxique et/ou phonétique, appauvrit le mot en masquant en partie ou totalement son étymologie d’origine (ainsi, bifteck masque la combinaison beef + steak (bœuf + tranche) en donnant un mot global qui ne porte plus cela en lui, de même le japonais キーボード qui ne laisse plus percer ni le son d’origine, ni la racine du mot (key + board (clef, touche + planche, tableau) ; soit une traduction dans la langue d’arrivée du mot composé ou de l’expression étrangère qu’on a décidé d’emprunter (comme par exemple gratte-ciel, qui est une traduction littérale de l’anglais sky-scraper) ; soit, enfin, une création, soit ex nihilo (notamment pour les mots qui procèdent d’onomatopées comme le « ping-pong »), soit à partir d’éléments préexistants ( c’est la technique de création classique des langues occidentales à partir de racine gréco-latines, comme par exemple cinématographe, qui vient de kinêma (mouvement) + graphein (dessiner, écrire) ou pour le japonais la création de mots japonais à partir de caractères chinois, comme par exemple 経済 (keizai), économie, à partir de deux caractères chinois : kei (en chinois jīng) (texte, classique, longitude, règle constante) et sai (en chinois ) (finir ; arranger, ordonner)).
    Le fait qu’on privilégie l’emprunt pur et simple par rapport à la traduction ou à l’invention, d’une part, et que cet emprunt soit, dans les langues que je cite, majoritairement fait à l’anglo-américain d’autre part amène à s’interroger sur la capacité d’adaptation des nations et sur leur sentiment d’appartenance à une culture étrangère à la culture anglo-américaine. Ne pas chercher à faire appel aux ressources de ce qu’on appelait jadis le génie de sa langue, révèlerait une « haine de soi », particulièrement marquée dans nos pays riches non anglophones, particulièrement en Allemagne, en Grèce et au Japon tout autant qu’une fascination, tantôt obséquieuse, tantôt faussement rebelle, pour le grand maître du monde que sont les Etats-Unis d’Amérique.

    2/ La question problématique de l’américanisation progressive des langues ne peut que se poser encore plus fortement lorsqu’on considère le phénomène de substitution de mots anglais aux mots locaux. (…)
    Nous trouvons aussi un phénomène à mi chemin entre le problème des nouveaux mots et celui du remplacement des mots locaux par des mots venus de l’anglo-américain, phénomène particulièrement aigu au Japon : la faible évolution du champ lexical. En effet, au lieu de faire évoluer le champ lexical d’un mot japonais en lui faisant représenter une réalité nouvelle, on préfèrera recourir à l’emprunt à partir de l’anglais. En voici quelques exemples. Auparavant, lorsqu’il s’agissait de désigner une porte, le japonais recourait au mot 戸 (to). Il s’agissait de portes japonaises traditionnelles. Lorsque le Japon a adopté l’architecture à l’occidentale, notamment ses portes et qu’il s’est agi de les désigner en japonais, au lieu de faire évoluer le sens de to, on a préféré prendre le mot anglais door, qui est devenu ドア (doa). De même pour ce qui est des ustensiles de cuisine, le couteau s’appelle ナイフ (naifu, de knife), la cuillère スプーン (supûn, de spoon), le tablier エプロン (epuron, d’apron). Qu’on ne me fasse pas croire que ces ustensiles n’existaient pas avant la découverte de la langue anglaise. Seulement, ils existaient sous une forme un peu différente, et l’évolution de leur forme a suffi aux Japonais pour qu’ils décidassent d’abandonner le mot qui désignait cette vieille forme. Les mots, en particulier les noms communs, n’ont de nos jours au Japon q’une durée de vie assez brève. A chaque évolution de la technique, il faut changer de mot, et une porte, qu’elle soit en bois, en métal, ronde ou carrée, plutôt que d’être définie par un adjectif comme en français, portera en japonais un nom différent. C’est ainsi que les mots to (porte) et 前掛け (maekake) (tablier) sont de moins en moins utilisés (réservés aux demeures traditionnelles) et que le mot 包丁(hôchô) (couteau) n’est plus utilisé que pour évoquer les gros couteaux de cuisine. Ce refus de ne pas faire évoluer le champ lexical des mots est entrain de couper le japonais de ses racines et de son identité, en en faisant un futur pidgin coupé même des racines de l’anglais et de sa richesse, à cause des katakana, qui transcrivent en un faible nombre de sons une grande variété de sons que comporte l’anglais et font perdre au mot sa graphie orthographique. Un exemple de plus est fourni par l’informatique, où le mot マウス (mausu), de l’anglais mouse) est le seul mot qui a été trouvé pour désigner la souris, appelée ainsi, rappelons-le, à cause de sa vague ressemblance de forme avec l’animal du même nom. Pourquoi le japonais a-t-il refusé de faire désigner par 鼠 / ネズミ (nezumi) cet ustensile ? Les Japonais auraient compris comme tout le monde la ressemblance que j’ai indiquée. En outre, le terme mausu n’évoque pour les Japonais, en général, que l’objet en plastique et non un mot polysémique comme l’anglais mouse. Que constatons-nous donc ? Que le japonais se coupe de ses racines. Que ses mots indigènes, en n’évoluant pas, tombent dans l’obsolescence et disparaissent, relégués dans les dictionnaires d’archaïsmes. Que l’anglais, réservoir quasi inépuisable de nouveaux mots, y perd, coupé de ses racines orthographiques, de sa richesse phonétique, et de sa polysémie. Car l’anglais, pour faire plein sens, a besoin de ses sons et de sa graphie, tout comme le chinois a besoin de ses idéogrammes. Le japonais est en train de devenir la langue qui se coupe le plus de sa logique, du sens, et de la polysémie. Trop de mot chasse le mot. Trop de mot mène, au quotidien, à parler plus simplement, trop simplement. Dans un pays où il est de bon ton de remplacer 催し物 (moyooshi mono), événement, par イーベント (îbento), de l’anglais event, on finira par ne plus utiliser les anciens mots porteurs de sens pour les remplacer par les mots de sens appauvri. (...)

    [1] Terme que je définirai plus loin.
    [2] Pris au sens large, sans la dimension commerciale constitutive de la culture de masse d’aujourd’hui.

  • Dégoût

    Voici une de mes proses, destinée à être publié en recueil. Bonne lecture.

    LE DEGOÛT



    C'est une nausée qui vous prend d'abord derrière les oreilles au niveau de la mâchoire. Ça s'enfonce. Puis c'est l'arrière bouche à la base du palais, et le nez qui sécrète de la morve, d'où mauvaise odeur. Le cœur qui battait si vite deux secondes auparavant semble, et c'est flagrant, s'être considérablement ralenti. Les sons sont mis en sourdine, les paroles qui fusent tout autour ne sont plus qu'un brouhaha inintelligible car assourdi. Où qu'on porte le regard, qu'on soit vu ou non n'y change rien, tout tourne au ralenti, à moins qu'on ne tourne au contraire à l'accéléré. C'est loin d'être le cas. Deux points douloureux apparaissent, l'un au diaphragme, l'autre à l'estomac, s'étendant sur toute la longueur de l'organe. C'est là qu'on prend conscience que depuis un temps indéterminé la gorge est serrée. Autoétranglement. La douleur est présente mais pas omniprésente, localisée mais diffuse. Rien à voir avec les fulgurances de la torture. Non, ici l'on a presque à faire à un malaise dont on pourrait se délecter si, au lieu de s'attacher aux causes, l'esprit voulait bien considérer les effets présents, si subtils, et puis, à tout instant, à la modification. L'avantage d'avoir mal dans le tronc est qu'au moins on ne sent plus ses membres. On marche longtemps. Tout passe, autour, rien ne reste. Rien n'importe plus que le monde qui vient de s'écrouler, non pas exactement autour de vous, mais en vous. En réalité, c'est vous qui vous êtes écroulés dans la représentation que vous vous faisiez du monde. Spectre parmi les images ralenties, floues et mêlées des vivants, on ne cherche plus rien. Plus rien ne compte. La seule chose qui avait de l'importance est source de ce malaise intégral qui croît, semble-t-il, sans cesse. C'est l'échec. C'est la cause du mal, la cause de cette douleur. Le miroir s'est brisé, il est trop tard ; on ne pourra pas le recoller. Après la phase d'abattement, faisant suite à la surprise, commence le questionnement obsessionnel. Pourquoi ? Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Phrases galvaudées pour situations galvaudées. D'ailleurs, et c'est rassurant / inquiétant (c'est selon), tout est galvaudé. Les mêmes questions reviennent toujours, inlassablement déclinées : Pourquoi ? Pourquoi moi ? Celle-là est la pire ; de contexte universel, elle est la plus chargée de détresse : comme un ultime appel au secours de la santé mentale. Mais croyez-vous qu'on viendra, de l'extérieur par définition, vous aider ? Non, bien sûr. Car quand bien même l'extérieur (les individus, seuls ou en groupe, sont désormais indifférenciés, et indifférents) le voudrait-il, il ne le pourrait pas. Que peut faire le marteau face à la roche obsédée par son délitement ? Après, vient la raison perverse. J'entends par là cette capacité méthodique à concevoir la destruction. La tension rigiditaire semble atteindre le cerveau qui macérait déjà dans le sang de la blessure figurée. De ce fait, toute l'énergie est recoupée contre l'intérieur, tendre et rose au lieu d'être exprimée en actes extérieurs, sans gravité et constructifs. Si pourtant elle parvient à sortir, il n'est pas dit que le geste esquissé, puis réalisé ne soit tourné contre son auteur. Il respire à présent avec difficulté. Suivant la complexion, le visage s'empourpre ou au contraire se lividifie. Ce sera une image du retour du sang à la terre ou de la lymphe et des os. La mort est trop douce, on ne l'envisage pas sérieusement. C'est à l'automutilation que l'on pense. Les idées précises sont là. C'est alors qu'apparaît l'entourage, professionnel et affectif. Avant de ne plus penser qu'à soi, on voulait attendrir et donner du remord au premier et, la plupart du temps, attrister le second le moins possible. Les efforts sont vains. Proche de l'exécution, l'action retombe dans son inachèvement. La honte vient. Les larmes commencent à émerger des glandes, gonflées, qui se vident par secousses. Plus on soulage son mal-être et pourtant plus la gorge se serre. On continue, on croit être sur le point de se calmer. Erreur, les convulsions reprennent de plus belle. On ne peut plus penser, on se vide. On a baissé les bras. On a échoué dans la fuite. On finit de pleurer, de crier, de souffler ; on en profite, sachant très bien que le lendemain va s'ouvrir une nouvelle et peut-être plus dure lutte sur place.


    Strasbourg, mai 1998,
    revu le 10 octobre 1999.