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  • De mes lecteurs

    J'apprends régulièrement que telle ou telle personne de ma connaissance me lit, souvent à ma grande surprise. Ces derniers temps, ce sont des personnes de mon université. Peut-être un ou deux enseignants figurent-ils parmi cette liste de nouveaux lecteurs. Je les salue tous avec respect, en espérant que ce blog littéraire leur fasse agréablement passer un peu de temps.
    Peut-être seront ils déçus par le place décroissante que prend le Japon dans cet espace. Je vais tenter de leur présenter quelque chose qui n'a rien à voir, mais sans renier l'aspect universitaire de ma vie, bien sûr.

    A propos de Japon, j'ai décidé de supprimer l'album à mon retour, soit début août.

  • Le sabre du grimpant (VI)

    [Mes remerciements à MC-Croche 8 qui nous offre là un finale éblouissant.]


    Il fallait que l’empire exercé sur lui par son jeune secrétaire fût bien grand pour qu’il ait accepté sans dégoût l’idée d’une excursion dans la montagne environnante. Raul n’avait jamais été particulièrement sportif et cependant, à sa propre stupéfaction, il s’était entendu acquiescer avec enthousiasme à la proposition de Pierre Etienne d’aller jusqu’aux abords du col de Ruhewald.

    Tout de même… Depuis bientôt trois heures qu’ils marchaient sans trêve, Raul Bottello, sanglé dans son éternel costume de lin blanc avec aux pieds d’inconfortables mocassins vernis, commençait à trouver le temps long. Devant lui, cependant, la haute silhouette de Pierre Etienne Ancelin avançait souplement, sans efforts, à travers les saccades de l’étroit et caillouteux sentier qu’ils suivaient maintenant. L’ascension devenait franchement pénible et l’insolente facilité de son compagnon lui paraissait odieuse, ce d’autant plus qu’il ne pouvait parvenir à crier sa fatigue, entraîné comme « malgré lui » par le pas régulier et rapide de son jeune factotum.

    De celui-ci, le regard brouillé par l'effort, il ne distinguait plus qu’un sac à dos ondulant, à l’extrémité duquel émergeait la pointe effilée de ce qui paraissait être une longue canne de jonc.

    Tout à coup, soit qu’il eût dérapé sur une pierre trop lisse, soit que l’épuisement l’ait conduit hors du chemin, il se trouva brusquement précipité vers le vide et ne put s’agripper « in extremis » à une vieille souche que par un ultime réflexe de survie.

    « Au secours ! Pierre Etienne, au secours ! »

    Il hurlait de toutes se forces mais son compagnon, resté très calme, ne se précipita nullement vers lui…Tout au contraire, il entreprit, laissant Bottello complètement ahuri, de retirer avec des gestes solennels l’étui de ce que l’écrivain identifiait maintenant comme n’étant pas une canne mais un splendide sabre de combat… Il se livra ensuite à différents mouvements quasi « chorégraphiques », fendant l’air autour de lui avec une élégance et une précision diabolique tandis que Bottello continuait de hurler, moitié en portugais et moitié en français.

    Puis, s’avançant enfin vers lui avec douceur :

    « Ne soyez pas si agité… c’était inévitable, vous le savez bien…
    - Mais je ne sais rien ! vous délirez ! », glapit Raul
    "- Rappelez-vous les paroles de Maître Eusebio au terme du Pèlerin : celui qui a trouvé le sens du conte intime, celui là seul n’est plus le prisonnier de son destin… S’étant « réalisé » il peut donc disparaître, offert à l’éternel Amour… La lecture de vos derniers écrits me l’avait confirmé : vous aviez dépassé l’équilibre suprême ; j’avais mal de vous voir vous survivre aussi péniblement… Il fallait vous aider, presque contre vous-même à achever votre mission »
    « Mais il est dingue, il est complètement dingue ! » songea Bottello dans un éclair panique, avant de poursuivre , véhément :
    « Mais pauvre C…, c’était du bloff, tout ça, du bloff je vous dis ! » (car l’accent portugais lui revenait instinctivement en ces circonstances extrêmes).
    « Du bloff » répéta pensivement Ancelin tandis qu Bottello, les yeux hors de la tête, continuait de hurler toutes langues mêlées… Puis soudainement illuminé : « vous voulez dire… du bluff ! » Et, après un silence, brusquement froid : « vous me faites beaucoup de peine… vraiment beaucoup de peine… » Retrouvant tout à coup le sourire, il ajouta, rayonnant : « mais suis-je bête ! ne nous avez-vous pas mis en garde contre les « rétro-démons du passé » ? Fernando Reis ne dit-il pas : protégez-moi contre moi-même si je faillis à ma mission ! ?… Soyez tranquille, vous n’aurez pas le temps de souffrir ! »

    Il y eut comme un sifflement dans l’air, une lueur fulgurante à reflets d’acier, puis un bruit sourd quelques secondes plus tard avant que le silence ne recouvre à nouveau l’aride paysage.



    ……………………………………………………………..



    Soutenu par une femme d’un age déjà certain, quelque peu opulente et dont la chevelure luisait de reflets mauves, le vieil homme s’engouffra, non sans mal, dans la grosse « Rolls » noire qui l’attendait devant l’hôtel.
    Une fois calé sur la profonde banquette de cuir brun, il ne put s’empêcher de suivre du regard un passant marchant à vive allure en direction de la gare. L’homme était jeune d’aspect, souple en ses mouvements, et n’avait pour seuls bagages qu’un modeste sac à dos sur lequel était fixé le fourreau d’une arme ancienne, d’origine asiatique selon toute vraisemblance. De sa main gauche, il tenait fermement un alpenstock de dimension modeste.

    « Igor ? » s’inquiéta son imposante compagne.
    Et, désignant du doigt l’homme qui s’éloignait, tandis que se ridait sa face d’un sourire silencieux, il murmura, les yeux brillants d’une lueur ironique : « Le sabrrre du grrimpant… »

    FIN

  • Le sabre du grimpant (V)

    " Maître Bottello, je suppose ? »
    Tiré en un instant de sa rêverie et levant rapidement les yeux, l’auteur charismatique eut la surprise de découvrir en face de lui un homme d’une étonnante juvénilité, grand, svelte, qu’on eut pu prendre pour un séminariste « à l’ancienne », cheveux courts bien peignés et fines lunettes à monture d’acier, n’était le tee-shirt immaculé (frappé, en son milieu, d’un cercle rouge) qu’on devinait sous une veste légère.

    Il émanait de lui une impression paradoxale de force et d’inflexible volonté en dépit d’un physique non pas gracile mais « délicat ». Les yeux, grands ouverts et nullement diminués par les verres correcteurs, vous regardaient bien en face, sans timidité comme sans arrogance. La bouche, aux lèvres minces, esquissait un sourire engageant où l’on ne pouvait découvrir aucune trace d’ironie déplacée.

    D’emblée, Raul Bottello se sentit en confiance, et cette confiance ne fit que croître durant la longue discussion qu’ils eurent ensuite et où il apparut que ce jeune homme, outre une belle apparence, possédait aussi une brillante culture dans les domaines les plus divers autant qu’une parfaite connaissance de son œuvre. De cela, il avait pu juger par les discrètes citations dont Ancelin avait su émailler son discours, révélant par là-même une fantastique compréhension des concepts essentiels de l’univers Bottellien. Ainsi de la notion de « conte intime », qui était au centre du Pèlerin initiatique : avec quelle finesse avait-il su la relier aux récits fondateurs de la littérature japonaise, au bouddhisme tantrique comme aux premiers principes de l’ésotérisme Maya… C’était éblouissant et combien stimulant ! Déjà, il sentait prendre forme en lui ce que pourrait être ce Mystère de l’éternel amour, vainement recherché jusqu’alors.

    Le soir même, Pierre Etienne Ancelin se voyait engagé comme secrétaire particulier et s’installait dans une petite chambre du Royal Swiss Palace, jouxtant la suite de Raul Bottello.


    Lire le chapitre VI

  • Le sabre du grimpant (IV)

    De toute part affluaient des lettres de lecteurs reconnaissants, attestant l’influence prodigieuse de la pensée « Bottellienne » : « vous avez changé ma vie », « par vous j’ai trouvé la lumière », telles étaient les phrases les plus fréquentes relevées dans cette édifiante correspondance.

    Des « clubs » dédiés au « Bottellisme » ne tardèrent pas à se créer, aux Etats-Unis tout d’abord et dans l’espace anglo-saxon, puis dans l’Europe entière et jusqu’au Sri Lanka, ou l’effigie du brésilien voisinait quelquefois dans les temples avec celles de divinités boudhiques…

    On parla même de « miracles », de paralytiques gambadant après lecture du Pèlerin initiatique mais Jean-Édouard Dupont-Lehman, craignant une dérive qui pût être néfaste à sa propre maison, se refusa toujours à confirmer de telles rumeurs.

    D’autres livres suivirent bientôt, tels Le fleuve de la vie ou Le cœur secret de Fernando Reis, qui entretinrent la ferveur de ses admirateurs sans parvenir, toutefois, à égaler l’extraordinaire écho rencontré par le Pèlerin. Bottello, qui multipliait maintenant les conférences un peu partout dans le monde, sentait que son silence « éditorial » ne pouvait plus durer. Depuis deux ans on annonçait la suite de son premier ouvrage, Le mystère de l’éternel Amour, mais l’attente éperdue qu’elle avait suscité menaçait désormais de se muer en une sorte de frustration exaspérée, la publication en étant régulièrement repoussée.

    Il fallait réagir ! d’où Pierre Etienne Ancelin, son enthousiasme, sa culture et son « sang neuf ».


    Lire le chapitre V

  • Le sabre du grimpant (III)

    [MC-Croche 8 continue sur sa lancée et nous offre un troisième chapitre assez savoureux. Je ne dis qu'une chose : "La suite ! La suite ! "]


    Chargé, par intérim, de la rubrique culturelle il eut à résumer pour ses lecteurs l’ouvrage de Douglas P. Dunleavy junior : Changer sa vie en dix leçons : les clés de l’harmonie intérieure. L’auteur, ex diplômé en psychologie de l’université de Saratoga mais présentement directeur-fondateur d’un institut de « maximisation mentale » ayant toutes les apparences d’une secte, y prônait les vertus d’une méthode dite de « l’introspection analogique », méthode dont il était le concepteur et qui était censée résoudre tout conflit entre ce qu’il appelait le « Moi » profond et « l’Ego » social. En fait, il s’agissait, par le biais d’une longue série de questionnaires à choix multiples, de déterminer avec une précision optimale la nature profonde du lecteur, ou plus exactement ce que Dunleavy junior préférait appeler son « noyau atomique intérieur », étant bien entendu que chaque réponse se devait d’être absolument irréfléchie, en conformité parfaite avec le principe d’analogie voulue par la méthode. Le dixième chapitre, grâce aux type de réponses obtenues, vous permettait enfin de savoir à laquelle des six catégories d’ego recensées par l’auteur vous pouviez prétendre appartenir, et dont celles du « réaliste compulsif à tendances globalisantes » ou du «ludo-maniaque post-adolescent » n’étaient pas les moins pittoresques. Les principes généraux de l’introspection analogique étaient ensuite résumés en une lumineuse postface par laquelle Douglas P. Dunleavy précisait en quelque sorte sa philosophie de l’existence : « vis ta vie pour toi-même », « vas au bout de tes rêves », « libère ton moi profond et le Monde sera tien », telles étaient, en résumé, les ultimes conseils du psychologue maximaliste.

    Soit qu’il eut trouvé là, et pour la première fois, l’expression détaillée d’une intuition confuse, soit qu’il y ait entrevu en un éclair sa véritable vocation, toujours est-il que ce bref opuscule à tendance « new-age » fit sur Raul Bottello l’effet d’une « révélation ». Au terme d’une semaine de cogitations intenses il réunit ses maigres économies et partit pour Paris par le premier vol charter. C’est dans une petite chambre de l'« Hôtel du Midi », modeste établissement de troisième zone qui, même à Pigalle où il était situé, passait pour particulièrement miteux, qu’il accoucha en une quinzaine de jours de son premier bouquin, s’aidant en permanence du dictionnaire franco-portugais qui l’accompagnait depuis le lycée, d’une vieille Bible passablement éculée et d’une « encyclopédie des symboles » jadis publiée par le Reader’s Digest.

    On dit que la fortune sourit aux audacieux et cet adage contestable devait pourtant trouver une éclatante confirmation en la personne de Raul Bottello puisque ayant expédié son manuscrit aux éditions « Nord-actions », il reçut par retour du courrier une fort courtoise invitation à rencontrer son directeur, Jean-Édouard Dupont-Lehman… Celui-ci, avec un « flair » hors du commun, avait su discerner qu’en dépit d’un français parfois un peu étrange, le Pèlerin initiatique, car tel était son titre, collait parfaitement à « l’air du temps ».

    De fait, après qu’il eut subit le toilettage linguistique indispensable, le succès ne se fit guère attendre : national tout d’abord, puis assez vite européen et même mondial, l’ouvrage ne totalisant pas moins de cinquante traductions… Ce n'était plus seulement un événement littéraire, d’importance finalement négligeable : c’était indiscutablement un événement médiatique.


    Lire le chapitre IV