« J’avais seize ans lorsque je fis la connaissance de ce vieil homme, insolite et fascinant : Léon Bloy. Le grand pianiste Ricardo Vines le connaissait fort bien et savait à quel point j’étais attiré par son œuvre et sa personne.
Sans hésiter, il me conseilla : « Il faut que vous alliez le voir. Vous serez étonné. Ce n’est pas du tout l’homme que l’on imagine et je suis presque sûr qu’il vous accueillera très bien. »
J’ai écrit à Léon Bloy qui habitait à cette époque Bourg-la-Reine. Lorsque je me décidai, un jour, à sonner à sa porte, alors que je craignais qu’il ne me mit dehors, il me reçut avec une grande cordialité. Je restai plusieurs heures à l’écouter et, dès ce premier jour, il m’offrit un de ses livres, déjà épuisé, avec une belle dédicace…
C’est ainsi que j’ai peu à peu pris l’habitude d’aller chez Léon Bloy et, pour finir, d’aller dîner chaque jeudi chez lui. Je puis donc témoigner de ceci : cet homme dont on m’avait dit : « attention, petit Auric, c’est un mendiant…et un mendiant ingrat », n’a jamais demandé un sous à l’adolescent qu’il avait la bonté de recevoir.(…)
J’ai vu Léon Bloy vivre et je l’ai vu s’éteindre. J’étais chez lui à ces instants-là et c’est d’ailleurs la seule fois où j’ai assisté aux derniers moments d’un être cher, même très cher.
Cela s’est passé avec une extrême et poignante simplicité. Il était très malade, depuis quelques jours, nous le savions perdu. Le samedi 3 novembre 1917, j’étais venu à Bourg-la-Reine, très inquiet. Nous étions dans sa chambre, sa femme, ses deux filles, Pierre Van der Meer et moi. Et soudain, ce fut la fin… Sur le moment même son visage a changé. Il y a, paraît-il, des êtres que la mort défigure et rend effroyables. D’autres auxquels elle apporte la paix. Le visage de Léon Bloy, ravagé, creusé par toutes sortes de souffrances, de misères, de douleurs, ce visage, soudain, était là, devant nous, devenu d’une admirable sérénité.(…)
…J’aime fort peu Renan. Avons-nous le droit, parce qu’elle a traîné dans les pires écritoires, de refuser la phrase de Renan que François Mauriac citait avec effroi : « Il se pourrait que la vérité fût triste. »
Mais il y a aussi la phrase qui, dans l’œuvre de Léon Bloy, domine la Femme pauvre : « il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints. »
Profondément indifférent aux sourires, aux surprises que je ne devine que trop vite, ne puis-je à mon tour rêver ? Il n’y a qu’une tristesse (peut-être, peut-être…) c’est de n’être pas vraiment, c’est de n’être plus vraiment des chrétiens. »
Extrait de : Georges Auric, Quand j'étais là... (1978)
Littérature 文学 - Page 12
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BLOY par Georges AURIC
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Littérature chinoise / 中国文学
Je vous recommande cet article du Mystérieux barricadé, sur la littérature (érotique) chinoise. Vos commentaires ici-même sont, comme toujours, les bienvenus.
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La femme de trente ans
Je vous livre ici quelques extraits de ce roman, que je lis actuellement, en espérant qu'ils vous donneront envie de (re)découvrir Balzac.
Ici le portrait de la tante par alliance, personnage éminamment sympathique, voltairien, qui aide l'héroïne à entamer un travail d'introspection.
"La comtesse de Listomère-Landon était une de ces belles vieilles femmes au teint pâle, à cheveux blancs, qui ont un sourire fin, qui semblent porter des paniers, et sont coiffées d'un bonnet dont la mode est inconnue. Portraits septuagénaires du siècle de Louis XIV, ces femmes sont presque toujours caressantes, comme si elles aimaient encore ; toujours exhalant la poudre à la maréchale, contant bien, causant mieux, et riant plus d'un souvenir que d'une plaisanterie. L'actualité leur déplaît." (chap. Ier)
Cette description de la Touraine, qui me rend presque mélancolique :
"A sa droite, le voyageur embrasse d'un regard toutes les sinuosités de la Cise, qui se roule, comme un serpent argenté, dans l'herbe des prairies auxquelles les premières pousses du printemps donnaient les couleurs de l'émeraude. A gauche, la Loire apparaît dans toute sa magnificence. Les innombrables facettes de quelques "roulées", produites par une brise matinale un peu froide, réfléchissaient les scintillements du soleil sur les vastes nappes que déploie cette majestueuse rivière. Ca et là des îles verdoyantes se succèdent dans l'étendue des eaux, comme les chatons d'un collier. De l'autre côté du fleuve, les plus belles campagnes de la Touraine déroulent leurs trésors à perte de vue..."
Enfin, le portrait du mari, un notable physiquement courageux, socialement prudent mais au fond très médiocre. Quelle actualité encore aujourd'hui !
"Ne se rencontre-t-il pas beaucoup d'hommes dont la nullité profonde est un secret pour la plupart des gens qui les connaissent ? Un haut rang, une illustre naissance, d'importantes fonctions, un certain verni de politesse, une grande réserve dans la conduite, ou les prestiges de la fortune sont, pour eux, comme des gardes qui empêchent les critiques de pénétrer jusqu'à leur infime existence. Ces gens ressemblent aux rois dont la véritable taille, le caractère et les moeurs ne peuvent jamais être ni bien connus ni justement appréciés, parce qu'ils sont vus de trop loin ou de trop près. Ces personnages à mérite factice interrogent au lieu de parler, ont l'art de mettre les autres en scène pour éviter de poser devant eux ; puis, avec une heureuse adresse, ils tirent chacun par le fil de ses passions ou de ses intérêts, et se jouent ainsi des hommes qui leur sont réellement supérieurs, en font des marionnettes et les croient petits pour les avoir rabaissés jusqu'à eux. Ils obtiennent alors le triomphe d'une pensée mesquine, mais fixe, sur la mobilité des grandes pensées. (...) Néanmoins, quelque habileté que déploient ces usurpateurs en défendant leurs côtés faibles, il leur est bien difficile de tromper leurs femmes, leurs mères, leurs enfants ou l'ami de la maison ; mais ces personnes leur gardent presque toujours le secret sur une chose qui touche, en quelque sorte, à l'honneur commun ; et souvent même elles les aident à en imposer au monde."
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Livres marquants
En vrac :
Là-bas, de HUYSMANS, qui m'a retourné le cerveau. J'y ai vu l'oeuvre d'un homme qui avait reçu l'illumination, ou plutôt la clairvoyance, c'est à dire qui enfin voyait clair, et avait compris le véritable message de Jésus. Un des rares livres que je relirai, et ce d'autant plus que lors de ma précédente lecture, j'avais abondamment annoté le texte.
Le grondement de la montagne (Yama no oto 『山の音』), de KAWABATA Yasunari : c'est de là qu'est partie ma passion pour le Japon. Profondément touché, bouleversé par cette histoire retenue, pudique, sans pathos ni leçons de morale facile, j'ai également découvert un style littéraire, et la lectures de textes de KAWABATA dans la langue originale notamment lors mon travail de traduction d'une de ses nouvelles, "Kami wa nagaku" 「髪は長く」 ("Les cheveux étaient longs"), à paraître prochainement, m'a confirmé dans ce que j'en pensais.
Le Chevalier Des Touches, de BARBEY d'AUREVILLY : mon préféré du Connétable des Lettres, un roman de furieux, au style ouvragé comme de la dentelle de diamant, plein d'images cauchemardesques, de grandeur, de pathétique, qui pétille de noblesse et d'intelligence. C'est depuis ce jour qu'il n'a plus fait aucun doute que BARBEY était mon maître.
Mensonge romantique et vérité romanesque, de René GIRARD : le livre qui représente mon credo philosophique. Je suis d'accord avec chaque ligne qu'a écrites GIRARD. Plus fort encore : lorsque je le lisais, j'avais l'impression qu'à chaque fois que je me posais une question, GIRARD y répondait dans les lignes qui suivaient. Avais-je un doute ou n'étais-je pas sûr d'avoir bien compris ? Il précisait immédiatement sa pensée et levait les incertitudes. Que la France se dépêche de lui rendre les honneurs qui sont dus à ce génie qui honore la philosophie et les Lettres avant qu'il ne soit trop tard, ce qui donnerait une nouvelle raison de penser, hélas à raison, que la France n'aime pas ses enfants.
Mémoires de Louis de SAINT-SIMON : peut-être mon livre préféré, ou le livre de l'écrivain qui ME semble le meilleur. Tant de fulgurances, tant de mélancolie maîtrisée devant le temps qui passe. SAINT-SIMON arrive à traiter comme des conflits cosmiques flamboyants des micro-événements qui chez DANGEOT ne sont que des broutilles. Qu'on le lise sans a priori, ou même avec, mais bonne volonté, et ces a priori seront renversés. Le plaisir du style, plus fort que tout, dissipera toutes les appréhensions et le lecteur se laissera emporter par cette musique du grand style qui nous montre que lorsque ce "petit" duc prenait la plume, il arrivait, par son excellence, à toucher celui que Dieu lui tendait.
Gargantua, de François RABELAIS : un livre dont, heureusement, l'école ne m'a pas dégoûté, et où j'ai découvert un des rarissimes exemples de bonheur raconté sur plusieurs pages, dans une constante invention verbale, truculente de poésie, sans que jamais la profondeur en fût exclue. Comme je me sentais contemporain de ces personnages attachants. Jamais ce texte ne m'est apparu comme mort (alors que bien des textes du XXème siècle, si). RABELAIS est devenu immédiatement, sinon l'écrivain que je considérais comme le meilleur, du moins mon écrivain préféré, et l'est resté, même si ce derniers temps je le lis, hélas, peu.
Les sept fous, de Roberto ARLT (traduit de l'espagnol) : rien dans mes découvertes n'avait suscité d'intérêt particulier pour l'Amérique du Sud moderne. Ce livre changea tout. Le titre résume bien de quoi il s'agit. Il s'agit avant tout de pérégrinations urbaines aux côté du héros, qui rencontre des personnages tous plus décadents et visionnaires les uns que les autres, et avec qui il décide de... changer la face de leur pays. Le mystère le plus enivrant baigne cette oeuvre qui n'a rien d'un roman fantastique. C'est une conspiration qui implique presque le lecteur qui se laisse parfois même convaincre par les arguments à l'appui d'un postulat dément. Chronique d'un échec annoncé. La suite, Les lance-flamme, traduite en français aux presses universitaires de Grenoble, n'a pas été longtemps disponible en librairie et je me retrouve très frustré car il faut savoir que le roman finit net : à suivre !
Zadig, de Voltaire : eh oui ! Le livre que des générations de professeurs de français font détester à leurs élèves (et l'oeuvre de Voltaire dans son entier est jetée avec) alors qu'ils cherchent dans leur majorité (mais ça n'était pas le cas de mon prof de terminale, le gredin !) à nous le faire aimer ! Bref, sans ce livre, je ne sais pas si je saurais encore lire autre chose que des boites de jeux vidéo. Pour ce qui est de l'histoire, c'est un mélange de philosophie (pas si naïve que ça), d'humour et de finesse, avec l'épisode du cheval et de la chienne, délectable instant policier avant l'heure. Et l'on se surprend à méditer sur des questions insolubles : et si le riche n'avait pas été volé ?... Mon bol d'air frais et intelligent de l'année (car je relis Zadig tous les ans, pour des raison d'hygiène mentale !).
Histoires extraordinaires d'Edgar Allan POE : le premier livre que j'ai lu, et en un jour de surcroît ! J'ai particulièrement aimé, et je la relis encore, "La lettre volée", pleine de mystère et d'intelligence, et dont l'astuce, toute simple, ma par ailleurs été d'un certain secours dans ma vie personnelle.
Le Vicomte de Bragelonne d'Alexandre DUMAS père : je n'ai pas peur de le dire : ce roman est à mon sens, non pas le plus triste, mais le plus mélancolique de notre littérature, et dans son édition Bouquins (Robert Laffont) que je recommande, Dominique Fernandez y livre son plus beau texte, une préface qui rend parfaitement les lignes principales de ce qui est notre plus beau et douloureux chant du cygne : la mort de la chevalerie morale. Combien nous semble, hélas, loin, cette époque qui connut des hommes si sublimes, ne fussent que des personnages d'encre et de papier. Les Trois mousquetaires et Vingt ans après, de mieux en mieux, admirable en soi, sont encore plus appréciables en ceci qu'il préparent à ce chef d'oeuvre qui à lui seul devrait garantir à DUMAS père notre admiration (en tout cas la mienne assurément) éternelle.
Pensées pour moi-même / Soliloques, de Marc-Aurèle (Marcus Aurelius Antoninus), traduit du grec : avant la découverte de René GIRARD, les stoïciens sont les sages dont l'enseignement m'a le plus plu, et aujourd'hui encore, je ne suis pas sans suivre certains de leurs préceptes. La distinction entre ce qui relève de nous, et ce qui n'en relève pas est une des plus pertinente, fort utilisée au Japon, mais toute la différence est dans la classification. Les Japonais ont très souvent tendance à baisser les bras et à dire "Shikata ga nai 仕方がない" ("On n'y peut rien") car "ça ne relève pas d'eux". Or souvent, cela se discute. Ainsi par exemple... voyez ma note sur les Japonais et le climat. Pour en revenir à Marc-Aurèle, il représente, tout comme Epictète, un modèle de sagesse et d'expression claire et noble. Ainsi en moi se partagent trois influences principales : le christianisme, le stoïcisme, et la République. Paradoxalement (peut-être), le stoïcisme est la moins douloureuse.
Promenade dans un parc, de Louis CALAFERTE : découvert par hasard à l'occasion de la préparation d'un exposé à l'époque du lycée, cet auteur fut une grande révélation. Pour la première fois, j'eus l'impression de lire un auteur dont le style était très proche du mien. Je retrouvais dans ses lignes la scansion de mes phrase, la même tendance à la brièveté, les même genre de non dits, la tentation du silence. Avec des inventions formelles qui dépassaient ce que j'étais capable de faire, des thèmes qui suscitaient ma réflexion et ma rêverie, CALAFERTE s'imposa comme mon père spirituel, un père littéraire que je m'étais choisi. Je continue de considérer Promenade dans un parc, premier livre de lui qui me soit tombé sous la main, comme son chef d'oeuvre, une oeuvre déroutante, stimulante, étreignante, mystérieuse. Un recueil de proses que je chéris tout particulièrement.
Oeuvres complètes (traduites du russe), Daniil HARMS (Daniil Ivanovitch IOUVATCHOV, dit -) : si CALAFERTE était mon père, HARMS serait mon grand frère. Chez lui aussi, j'ai retrouvé cette communauté de pensée, cette façon de voir le monde, cette proximité troublante avec mon imaginaire. Mort trop jeune de maladie après avoir été incarcéré au goulag, Daniil HARMS nous laisse une oeuvre peu abondante, mais déjà géniale. On se prend à imaginer ce qu'il aurait plu écrire si on l'avait laissé vivre. -
Traduction de Zéphyr en Chinois
Même si je suis loin de parler chinois (contrairement au japonais), j'ai quand même, pour mon plaisir, tenté de traduire ce poème de BANVILLE. Que les sinisants me donnent leurs conseils !
Zéphyr / 微風
Si j’étais le Zéphyr ailé 如果我是風翼,
J’irais mourir sur votre bouche. 我将在您的嘴边死去。
Ces voiles, j’en aurais la clef, 我拥有开启你的面纱的钥匙,
Si j’étais le Zéphyr ailé. 如果我是風翼,
Près des seins, pour qui je brûlais, 我愛了的胸部的近,
Je me glisserais dans la couche. 我除床将滑動。
Si j’étais le Zéphyr ailé, 如果我是微風了,
J’irais mourir sur votre bouche. 我上您的嘴将去死。
Théodore de Banville 板斐樂